This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project
to make the world's bocks discoverablc online.
It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover.
Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the
publisher to a library and finally to you.
Usage guidelines
Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to prcvcnt abuse by commercial parties, including placing lechnical restrictions on automated querying. We also ask that you:
+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for Personal, non-commercial purposes.
+ Refrain fivm automated querying Do nol send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help.
+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project and helping them find additional materials through Google Book Search. Please do not remove it.
+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other countiies. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe.
About Google Book Search
Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web
at|http: //books. google .com/l
A propos de ce livre
Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression
"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.
Consignes d'utilisation
Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public et de les rendre ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées. Nous vous demandons également de:
+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers. Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère.
A propos du service Google Recherche de Livres
En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adressefhttp: //book s .google . coïrïl
• .;.;''?^
,■.■.! ... |
••a ^. ' ' |
■ » * |
,v.'' |
|
,■■, ^ |
- '/ |
* -^y |
'i |
|
■^^t - |
. *•* - "'•^ |
n |
||
* * i. . |
' \ " |
'. ■■■ . |
•^^K |
♦ -• |
— iii-. |
■r.S'r |
» - V. |
-/é^^
Cv
ŒUVRES
DE
MOLIÈRE.
PARIS. — TvroGRApnie de fhdhn uidot frères, RUR ikCOV., 56
nmcuBRAsr
^^W^ttifox
V2L0XII
f^ViiaéSilMl
}■
« •
»,•
V i
' ' ■ '■ ■>
♦ *
ŒUVRES.
DE
MOLIÈRE,
AYF.C DES NOTFS
DE TOUS LES COMMENTATEURS.
TOME PREMIER.
^B»
PARIS,
LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRRS,
IMPRIMEURS DE l/lKSTlTUT DE FRANCE,
»r» jAco*, 5(1.
1.S51.
PUBLIC LÎBr.ARY
1 G7846 A
Arr^A, LVVOT AMD «L»«N ^'0 M DATIONS
I »
, » o ;
• • ' . • •
VIE DE MOLIÈRE,
PAR VOLTAIRE.
Le goût de bien des lecteurs pour les cboses frivoles, et reovie de faire un Tolume de ce qui ne devrait remplir que peu de pages, sont cause que Thistoire des hommes célèbres est presque toujours gâtée par des détails inutiles et des contes populaires aussi faux qu'insipides. On y ajoute souvent des critiques injustes de leurs ouvrages. C'est ce qui est ar- rivé dans l'édition de Racine taite à Paris en 1728. On tâ- chera d'éviter cet écueil dans cette courte histoire de la vie de Molière; on ne dira de sa propre personne que ce qu'on a cru vrai et digne d'être rapporté, et on ne hasardera sur ses ouvrages rien qui soit contraire aux sentiments du public éclairé.
Jean-Baptiste Poquelin .naquit à Paris en 1620, dans une maison qui subsiste encore sous les piliers des halles. Son père, Jean-Baptiste Poquelin, valet de chambre-tapissier chez le roi, marchand fripier, et Anne Boutet, sa mère, lui don- nèrent une éducation trop conforme à leur état,^auquel ils le destinaient : il resta jusqu'à quatorze ans dans leur boutique, n'ayant rien appris, outre son métier, qu'un peu à lire et à écrire. Ses parents obtinrent pour lui la survivance de leur charge chez le roi ; mais son génie l'appelait ailleurs. On a remarqué que presque tous ceux qui se sont fait un nom dans les beaux-arts les ont cultivés malgré leurs parents, et que la nature a toujours été en eux plus forte que l'éducation.
Poquelin avait un grand-père qui aimait la comédie, et qui le menait quelquefois à l'hôtel de Bourgogne. Le jeune homme
^^sentit bientôt une aversion invincible pour sa profession. Son gortt pour l'étude se développa; il pressa son grand-père
^v irobtenir qu'on le mit an collège, et il arracha enfm le ron*
01
VI Yl£ DE MOLIERE.
sentement de son père , qui le mit dans une fiension , et l'en- voya externe aux jésuites, avec la répugnance d*un bour- "^o geois qui croyait la fortune de son fils perdue sMl étudiait.
Le jeune Poquelin fit au collège les progrès qu'on devait attendre de son empressement à y entrer. Il y étudia cinq années; il y suivit le cours des classes d'Armand de Bourbon, premier prince de Conti , qui depuis fut le protecteur des let- tres et de Molière.
H y avait alors dans ce collège deax enfants qai eiaut es» puis beaucoup de répotatioD daas k noade. CéCiient Cha- pelle et Bernier : celui>ei como par ses voyages aux Indes, et l'autre célèbre par quelques vers naturels et aisés, qui lut ont foit d'autant plus de réputation qu'il' ne rechercha pas celle d'auteur.
L'Huillier, homme de fortune, prenait un soin singulier de l'éducation du jeune Chapelle, son fils naturel ; et , pour lui donner de l'émulation, il fesait étudier avec lui le jeune Bernier, dont les parents étaient mal à leur aise. Au lieu même de donner à son fils naturel un précepteur ordinaire et pdi au hasard, comme tant de pères en usent avec un fils légitime qui doit porter leur nom , il engagea le célèbre Gassendi à se cliarger de l'instruire.
' Gassendi ayant démêlé de houne heure le génie de Po- quelin , Tassocia aux études de Chapelle et de Bernier. Ja- mais plus illustre maître n'eut de plus dignes disciples. II leur enseigna sa philosophie d'Épicure , qui, quoique aussi fausse que les auties, avait au moins plus de méthode et plus (le vraisemblance que celle de l'école , et n'en avait pas la l)arbarie.
Poquelin continua de s'instruire sous Gassendi. Au sortir «lu collée, il reçut de ce philosophe les principes d'une mo- rale plus utile que sa physique, et il s'écarta rarement de ces principes dans le cours de sa vie .
Son père étant devenu infirme et incapable de servir, il fut obligé d'exercer les fonctions de son emploi auprès du roi. 11 suivit Louis XIII dans le voyage que ce monarque fit en Languedoc en 1641 ; et, de retour à Paris, sa passion pour la comédie, qui l'avait déterminé à faire ses études, se réveilla avec force.
VIE DE MOLIJIRE VU
Le théâtre commençait à fleurir alors : cette partie des belles-lettres, si méprisée quand elle est médiocre, contribue à la gloire d'un £tat quand elle est perfectionnée.
Ayant Tannée 1625, iln*y ayait point de comédiens fixes à Paris. Quelques farceurs allaient, comme en Italie, de yill4> en yiile : ils jouaient les pièces de Hardy, de Monchrétieu, ou de Balthazar Baro.
Ces auteurs leur yendaient leurs ouvrages dix écus pièce.
Pierre Corneille tira le théâtre de la barbarie et de Tavi- lissement, yers Tannée 1630. Ses premières comédies, qui étai^t aussi bonnes pour son siècle qu'elles sont mauvaises pour le nôtre, furent cause qu'une troupe de comédiens s'é- tablit à Paris. Bientôt après, la passion du cardinal de Ri- chelieu pour les spectacles mit le goût de la comédie à la mode, et il y avait plus de sociétés particulières qui repré- sentaient alors que nous n'en voyons aujourd'hui.
Poquelin s'associa avec quelques jeunes gens qui avaient du talent pour la déclamation; ils jouaient au faubourg Saint-Germain et au quartier Saint-Paul. Cette société éclipsa bientôt toutes les autres; on l'appela Vlllxistre théâtre. On voit par une tragédie de ce temps-là, intitulée Artaxerce, d'un nommé Magnon, et imprimée en 1645, qu'elle fut re- présentée sur l'illustre théâtre.
Ce fut alors que Poquelin , sentant son génie , se résolut de s'y livrer tout entier, d'être à la fois comédien et auteur, et de tirer de ses talents de l'utilité et de la gloire.
On sait que chez les Athéniens les auteurs jouaient souvent dans leurs pièces, et qu'ils n'étaient point déshonorés pour parier ayec grâce en public devant leurs concitoyens. 11 fut plus encouragé par cette idée que retenu par les préjugés de son siècle. Il prit le nom de Molière, et il ne fit, en chan- geant de nom , que suivre l'exemple des comédiens d'Italie et de ceux de l'hôtel de Bourgogne. L'un , dont le nom de fa • mille était le Grand, s'appelait Belleville dans la tragédie, et Turtupin dans la farce ; d'où vient le mot de iurlupintide. Hugues Guéret était connu, dans les pièces sérieuses, sous le nom de Fléchelles; dans la farce, il jouait toujours un cer- tain rôle qu'on appelait Gautier-Garguille : de même, Arle- quin et Scaramouche n'étaient connus que sous ce nom de
V11I VIE DE MOUDRE.
théâtre. Il y avait déjà eu un comédien appdé Molière, auteur de la tragédie de Polyxène (1).
Le nouveau Molière Ait ignoré pendant tout le temps qae durèrent les guerres civiles en France ; il employa ces années à cultiver son talent et à préparer quelques pièces. Il avait fait un recueil de scènes italiennes, dont il fesait de petites comédies pour les provinces. Ces premiers essais, très-infor- mes , tenaient plus du mauvais théâtre italien, où il tes avait pris, que de son génie, qui n'avait pas eu encore l'occasion de se développer tout entier. Le génie s'étend et se resserre par tout ce qui nous environne. Il fit donc pour la province le Docteur amoureux, les trois Docteurs rivaux, le Maître (Técole; ouvrages dont il ne reste que le titre. Quelques eu- i rieux ont conservé deux pièces de Molière dans ce genre : Tune est le Médecin volant, et Tautre la Jalousie de Bar- bouille. Elles sont en prose et écrites en entier. Il y a quel- ques phrases et quelques incidents de la première qui nous sont conservés dans le Médecin malgré lui; et on trouve dans la Jaloiisie de Barbouille un canevas, quoique in- forme, du troisième acte de George Dandin.
La première pièce régulière en cinq actes qu'il composa fut V Étourdi. Il représenta cette comédie à Lyon en 1653. II y avait dans cette ville une troupe de comédiens de campagne, qui fut abandonnée dès que celle de Molière parut.
Quelques acteurs de cette ancienne troupe se joignirent à Molière , et il partit de Lyon pour les états de Languedoc avec une troupe assez complète, composée principalement de deux frères nommés Gros-René, de du Parc, d'un p&tissier (2) de la rue Saint-Honoré, de la du Parc, de la Béjart , et de la de Brie.
Le prince de Conti , qui tenait les états de Languedoc à Béziers, se souvint de Molière, qu'il avait vu au collège; il lui donna une protection distinguée. Molière joua devant lui V Étourdi, le Dépit amoureux, et les Précieuses ridicules.
Cette petite pièce des Précieuses , faite en province , prouve assez que son auteur n'avait eu en vue que les ridi-
(i)Od autre Molière (Françoto), sieur d'EsserUnes, publia en ittco un rorium^en un vol. In-r*. inUtulé la Semaine amoureuse. (a) Peut-être faut-il lire : lie du Parc, fils d'un pâtissier, etc.
VIE DE MOLIÈRE. t&
cules des proTinciales ; mais il se trouTa deptiis que Tou- vrage pouvait corriger et la cour et la Tille.
Molière avait alors trente-quatre ans ; c*est Tâge où Cor- beille fit le Cid. H est bien difficile de réussir avant cet âge dans le genre dramatique, qui exige la connaissance du monde et du cœur humain.
On prétend que le prince de Conti voulut alors l'aire M(v lière son secrétaire , et que , heureusement pour la gloire du ihéfttre français , Molière eut le courage de préférer son talent à un poste honorable. Si ce fait est vrai , il fait également honneur au prince et au comédien.
Après avoir couru quelque temps toutes les provinces , et avoir joué à Grenoble , à Lyon , à Rouen , il vint enfin à Paris en 1658. Le prince de Conti lui donna accès auprès de Mon- sieur y frère unique du roi Louis XIY ; Monsieur le présenta au roi et à la reine-mère. Sa troupe et lui représentèrent la même année, devant leurs majestés, la tragédie de Nicomède, sur un théâtre élevé par ordre du roi dans la salle des gardes du vieux Louvre.
Il y avait depuis quelque temps des comédiens établis h, rh<Mel de Bourgogne. Ces comédiens assistèrent au début de la nouvelle troupe. Molière , après la représentation de Nico- mëde , s'avança sur le bord du théâtre , et prit la liberté de faire an roi un discours par lequel il remerciait sa majesté de son indulgence , et louait adroitement les comédiens de ThO- tel de Bourgogne, donlii devait craindre la jalousie : il fuiit en demandant la permission de donner une pièce d'un acte qu*il avait jouée en province.
La mode de représenter ces petites farces après de grandes pièces était i)erdue à Thôtel de Bourgogne. Le roi agréa l'of- fre de Molière ; et Ton joua dans l'instant le Docteur amou- reux. Depuis ce temps, l'usage a toujours continué de donner de ces pièces d'un acte ou de trois après les pièces de cinq.
On permit à la troupe de Molière de s'établir à Paris \ ils s'y fixèrent, et partagèrent le théâtre du Petit-Bourbon avec les comédiens italiens, qui en étaient en possession depuis quelques années.
Latroui)e de Molière jouait sur ce théâtre les mardis, les jeudis et les samedis; et les Italiens, les autres jours.
n.
X VIE DK MOLIÈRE.
La troupe de l'hôtel de Bourgogne ne jouait aussi que trois fois la semaine, excepté lorsqu'il y avait des pièces noayelles.
Dès lors la troupe de Molière prit le titre de la Troupe de Monsieur, qui était son protecteur. Deux ans après, en 1660, il leur accorda la salle du Palaifr-Royal. Le cardinal de Riche- lieu l'avait fait bâtir pour la représentation de Mirante, tra- gédie dans laquelle ce ministre avait composé plus de cinq cents vers. Cette salle est aussi mal oonstraite que la pièce pour laquelle elle fut bâtie ; et je suis obligé de remarquer à cette occasion, que nous n'avons aujourd'hui aucun Uié&tre supportable : c'est une barbarie gothique que les Italiens nous reprochent avec raison. Les bonnespièces sont en France^^et
La troupe de Molière eut la jouissance de cette salle jusqu'à la mort de son chef. Elle Ait alors accordée à ceux qui eurent le privilège de l'Opéra , quoiffue ce vaisseau soit moins pro- pre encore pour le chant que pour la déclamation.
Depuis l'an 1658 jusqu'à 1673, c'est^-dire en quinze an- nées de temps, il donna toutes ses pièces , qui sont au nom- bre de trente. Il voulut jouer dans la tragédie , mais il n'y réussit pas ; il avait une volubilité dans la voix, et une espèce de hoquet qui ne pouvait convenir au genre sérieux, mais qui rendait son jeu comique plus plaisant. La femme (1) d'undes meilleurs comédiens que nous ayons eus a donné ce ix>rtrait- ci de Molière :
« Il n'était ni trop gras ni trop maigre ; il avait la taille « plus grande que petite, le port noble, la jambe belle; il « marchait gravement, avait l'air très-sérieux, le nez gros, la « bouche grande, les lèvres é[)aisses, le teint brun, lessour- « cils noirs et forts ; et les divers mouvements qu'il leur don- « nait lui rendaient la physionomie extrêmement comique. « A l'égard de son caractère, il était doux, complaisant, gé- (( néreux. Il aimait fort à haranguer; et quand il lisait ses piè* « ces aux comédiens, il voulait qu'ils y amenassent leurs « enfants , pour tirer des conjectures de leur mouvement « naturel, w
Molière se fit dans Paris un très-grand nombre de partisans,
(1) Mademoiselle du Croisy, lillc du comédien du Croisy, tt femme de Paul roisson , comédien , fils de Raimond Poisson .
YIE DE MOLIÈRE XI
et presque autant d'ennemis. Il accoutuma le public, en loi faisant connaître la bonne comédie, à le juger lui-même très- sévèrement. Les mêmes 8{>ectateurs qui applaudissaient aux pièces médiocres des autres auteurs, relevaient les moindres défauts de Molière avec aigreur. Les hommes jugent de nous par l'attente qu'ils en ont conçue ; et le moindre défaut d'un auteur célèbre, joint avec les malignités du public, suffît pour faire tomber uu bon ouvrage. Ypilà pourquoi Britannicus et les Plaideurs de M. Racine furent si mal reçus ; Toilà pour- quoi l'Avare , le Misanthrope, les Femmes savantes , V École des Femmes, n'eurent d'abord aucun succès.
Louis XIY, qui avait un goût naturel et l'esprit trèfr-jnste , sans l'avoir cultivé, ramena souvent, par son approbation , la cour et la Tille aux pièces de Molière, ifeût été plus hono- rable pour la nation de n'avoir pas besoin des décisions de son prince pour bien juger. Molière eut des ennemis cniels, surtout les mauvais auteurs du temps, leurs protecteurs et leurs cabales : ils suscitèrent contre lui les dévots ; on lui imputa des liTres scandaleux ; on l'accusa d'avoir joué des hommes puissants, tandis qu'il n'avait joué que les vices en généra] ; et il eût succombé sous ces accusations, si ce même roi, qui encouragea et qui soutint Racine et Despréaux, n'eût pas aussi protégé Molière.
Il n'eut à la yérité qu'une i)ension de raille livres, et sa troupe n'en eut qu'une de sept. La fortune qu'il fit par le suc- cès de ses ouvrages le mit en état de n'avoir rien de plus à souhaiter; ce qu'il retirait du théâtre, avec ce qu'il avait placé, allait à trente mille livres de rente ; somme qui, en ce temps- là , fesait presque le double de la valeur réelle de pareille somme d'aujourd'hui.
Le crédit qu'il avait auprès du roi parait assez par le cano- nicat qu'il obtint pour le fils de son médecin. Ce médecin s'appelait Mauvilain. Tout le monde sait qu'étant un jour au diner du roi : Vous avez un médecin, dit le loi à Molière; que vous fait-il? « Sire, répondit Molière , nous causons en- « semble ; il m'ordonne des remèdes , je ne les fais point, et A je guéris. »
il fesait de son bien un usage noble et .sage ; il recevait c\]v/ hii fies hommes de la meilleure compagnie, les Chopcllo,
xtl VIË DE MOLIËAL.
les Jonsdc , les Desbarreaiix , etc. , qui joignaient la voIti]>tê et la philosophie. Il avait une maison de campagne à Auteiiil, où il se délassait souTent avec eux des fatigues de sa profes- sion, qui sont bien plus grandes qu'on ne pense. Le maréchal de Yivoune, c-onnu par son esprit et par son amitié pour De»- préaux, allait souvent chez Molière , et vivait avec lui comme Lélius avec Térence. Le grand Coudé exigeait de lui qu'il le vint .voir souvent, et disait qu'il trouvait toujours à appren- dre dans sa conversation.
Molière employait une partie de son revenu en tibéralités, qui allaient beaucoup plus loin que ce qu'on appelle dans d'autres hommes des charités. 11 encourageait souvent par des présents considérables de jeunes auteurs qui marquaient du talent : c'est peut-être à Molière que la France doit Ra- cine. Il engagea le jeune Racine, qui sortait de Port-Royal , à travailler pour le théâtre dès l'âge de dix-neuf ans. Il lui fit composer la tragédie de Tliéagène et de Chariclée; et quoi- que cette pièce fût trop faible pour être jouée , il fit présent au jeune auteur de cent louis, et lui donn^ le plan des Frères ennemis.
Il n'est peut-être pas inutile de dire qu'environ dans le même temps , c'est-à-dire en 1661 , Racme ayant fait une ode sur le mariage de Louis XI Y , M. Colbert lui envoya cent louis au nom du roi.
Il est très-triste pour l'honneur des lettres , que Molière et Racine aient été brouillés depuis : de si grands génies, dont l'un avait été le bienfaiteur de l'autre, devaient être toujours amis.
Il éleva et il forma un autre homme qui, par la supériorité de ses talents et par les dons singuliers qu'il avait reçus de la nature, mérite d'être connu de la postérité. C'était le icomé- dien Baron , qui a été unique dans la tragédie et dans la co- médie. Mohère en prit soin comme de son propre fils
Un jour , Baron vint lui annoncer qu'un comédien de cam- pagne, que la pauvreté empêchait de se présenter, lui deman- dait quelques légers secours pour aller joindre sa troupe. Molière ayant su que c'était un nommé Mondorge , qui avait été son camarade , demanda à Baron combien il croyait qu'il fallait lui donner. Celui-ci répondit au hasard : « Qualre pis-
VIK DR MOLIÈRE. MU
« tôles. — Donnez-lui quatre pistoles pour moi , lui dit Mo- « Hère ; en voilà vingt qu'il faut que tous lui donniez pour « ¥ou8 ; » et il )o^it à ce présent celui d'un habit magnifique. Ce sont de petits faits; mais ils peignent le caractère. -
Un autre trait mérite plus d'être rapporté. Il Tenait de don- ner l'aumône à on pauvre : un instant après, le pauvre court après lui , et lui dit : « Monsieur , vous n'aviez peut-être pas « dessein de me donner un louis d'or : je viens vous le « rendre. Tiens, mon ami, dit Molière, en voilà un autre ; » et il s'écria : « Où la vertu va-t-elle se nicher I » Exclamation qui peut faire voir qu'il réfléchissait sur tout ce qui se pré- sentait à lui , et qu'il étudiait partout la nature en homme qui la voulait peindre.
Molière, heureux par ses succès et par ses protecteurs, par ses amis et par sa fortune , ne le fut pas dans sa maison. Il avait épousé en 1661 une jeune fille née de la Béjart et d'un gentilhomme nommé Modène. On disait que Molière en était le père : le soin avec lequel on avait répandu cette calomnie, fit que plusieurs personnes prirent celui de la réfuter. On prouva que Molière n'avi^t connu la mère qu'après la. nais- sance de cette fille. La disproportion d'Age, et les dangers auxquels une comédienne jeune et belle est exposée , rendi- rent ce mariage malheureux ; et Molière, tout philosophe qu'il était d'ailleurs, essuya dans son domestique les dégoàts, les amertumes , et quelquefois les ridicules qu'il avait si sou- vent joués sur le théâtre : tant il est vrai que les hommes qui sont au-dessus des autres par les talents, s'en rapprochent presque toujours par les faiblesses; car pourquoi les talents nous mettraient-ils au^essus de l'humanité?
La dernière pièce qu'il composa fut le Malade imaginaire. 11 y avait quelque temps que sa poitrine était attaquée, et qu'il crachait quelquefois du sang. Le jour de la troisième représentation^ il se sentit plus incommodé qu'auparavant : on lui conseilla de ne point jouer; mais il voulut faire un effort sur lui-même, et cet effort lui coûta la vie.
Il lui prit une convulsion en prononçant jurOf dans le di- vertissement de la réception du malade imaginaire. On le rapporta mourant chez lui , nie de Richelieu. Il fut assisté quelques moments par deux de ces religieuses qui viennent
XIV VIE DE MOLIÈRE.
quêter à Paris pendant le carême, et qu'il logeait chez lui. Il mourut entre leurs bras, étouffé par le sang qui lui sortait par la bouche, le 17 février 1673, &gé de cinquante>trois ans. Il ne laissa qu'une fille, qui avait beaucoup d'esprit. Sa veuve épousa un comédien nommé Guérin.
Le malheur qu'il avait eu de ne pouvoir mourir avec les secours de la religion, et la. prévention contre la comédie, dé* terminèrent Harlay de Cbativalon, archevêque de Paris, si connu par ses intrigues galantes, à refuser la sépulture à Mo< lière. Le roi le regrettait; et ce monarque, dont il avait été le domestique et le pensionnaire, eut la bonté de prier l'arche- vêque de Paris de- le faire inhumer dans une église. Le curé de SaintpEtistacbe , sa paroisse , ne voulut pas s'en charger. La populace, qui ne connaissait dans Molière que le comédien, et qui ignorait qu'il avait été un excellent auteur, un philo- sophe, un grand homme en son genre, s'attroupa en foule à la |H>rte de sa maison le jour du convoi : sa veuve fut obligée de jeter de l'argent par les fenêtres ; et ces misérables, qui au- raient, sans savoir pourquoi , troublé l'enterrement ,~acoom« pagnèrent le corps avec respect.
La difficulté qu'on fit de lui donner la sépulture, et les in- justices qu'il avait essuyées pendant sa vie , engagèrent le fameux père Bouhours à composer cette espèce d'épitaphe, qui , de toutes celles qu'on fit pour Molière , est la seule qui mérite d'être rapitortée , et la seule qui ne soit pas dans cette fausse et mauvaise histoire qu'on a mise jusqu'ici au-devant de ses ouvrages *.
Tu réformas et la viUe et la cour ;
Hais quelle en fut la récompense ?
Les Français rougiront un Jour
De leur peu de reconnaissance.
Il leur fallut un comédien Qui mit à les polir sa gloire et son étude : Mais , Molière, à ta gloire il ne manquerait rien , Si, parmi les défauts que tu peignis si bien. Tu les avais repris de leur ingratitude.
Non-seulement j'ai omis dans cette Vie de Molière les . contes populaires touchant Chapelle et ses amis; mais je suis obligé de dire que ces contes, adoptés par Grimarest,sont très*
VIE DE MOLIÈRE. XT
faux. lie feu duc de Sully, le dernierprince de Vendôme, Tabbô de CliaulieUy 4{iii avaient beaucoup vécu avec Chapelle, m'ont assuré que toutes ces historiettes ne méritaient aucune rréance.
f IN OB LA VIE DE HOLlfeBE.
L'ETOURDI,
00
LES CONTRE-TEMPS,
GOIÉDIE (1653-1658).
PERSONNAGES. acteurs.
LÉLIB , fUs de Pandolfe. La Grahgb.
CÉUS , esdave de Truraldln. Mii* de Brie.
MASCARILLB, valet de Lélie. ■ MOLIÈRS.
HIPPOLTTB, flUe d'Anselme. . . MU* Dutarc.
ANSELME, père d'Hippolyte. Louis Bjuart.
TRlTFALDnf , TieUlard.
PANDOLFE, père de LéUc. BtjART atné.
LÉANDIUB, fils de famUle.
ANDRÊS , cni Égypti«i.
ERGASTEI, ami de MascariUe.
vn ooniiRDiR.
•EUX TROUPSS DE MA«Q1TBS.
La ^cène est à Meuine.
ACTE PREMIER.
SCÈNE PREMIÈRE:
LËLIE.
Eh bien 1 Léandre , eh bien ! il faudra contester ; Noos verrons de nous deux qui pourra remporter ; Qui, dans nos soins communs pour ce jeune miracle. Aux Toeux de son rival portera plus d'obstacle : Préparez vos efforts » et vous défendez bien , Sâr qne de mon c^té je n'épargnerai rien.
SCÈNE IL
LËLIE, MASCARILLE«
LÉLIE.
Abl MascariUe!
MOLIÈU. T. I. t
2 L'ÉTOURDI,
HASCARH^LE.
Quoi ?
LÉUB.
Voici bien des aiïaires ; Tai dans ma passion toutes choses contraires : Léandre aime Célie , et , par an trait fatal , Malgré mon changement , est toujours mon riyal.
■ASCÀRILLE.
Léandre aime Célie !
LÉLIE.
Iiradore,tedis-je.
MASCARILLE.
Tant pis.
LéLIE.
Eh , oui , tant pis; c'est là ce qui m'aftlige. Toutefois j'aurais tort de me désespérer ; Puisque j'ai ton secours , je puis me rassurer ; Je sais que ton esprit, en intrigues fertile, M'a jamais rien trouvé qui lui fût difficile ; Qu'on te peut appeler le roi des serviteurs ; Et qu'en toute la terre. . .
MASCARILLE.
Eh ! trêve de douceurs. Quand nous fusons besoin , nous autres misérables , Nous soDomes les chéris et les incomparables ; Et dans un autre temps , dès le moindre courroux , Nous sommes les coquins qu'il faut rouer de coups.
LÉLIE.
Ma foi ! tu me fais tort avec cette invective.
Mais enfin discourons un peu de ma captive : *
Dis si les plus cruels et plus durs sentiments
Ont rien d'impénétrable à des traits si charmants
Pour moi , dans ses discours , comme dans son visage ,
Je vois pour sa naissance un noble témoignage ; ,
Et je crois que le ciel dedans un rang si bas |
Cache son origine, et ne l'en tire pas. I
MASCARILLE.
Vous êtes romanesque avecque vos chimères;
Mais que fera Pandolfe en toutes ces affaires ? '
C'est , monsieur, votre père , au moins à ce qu*il dit :
Vous savez que sa bile assez souvent s'aigrit;
Qu'il peste contre vous d'une belle manière ,
Quand vos déportements lui blessent la visière,
n est avec Anselme en parole pour vous
AGTB I, SCÈNE II.
Que de son Hippolyte où tous fera l'ëpoux , S'ûnagiiiant que c'est dans le seul mariage Qa^il pourra rencontrer de quoi vous foire sage ; Et s'il Tient à saToir que, retmtant son choix , D'an objet inconnu vous receves les lois, Qae de ce fol amour la fatale puissance Vous soustrait au deTolr de Totre c^issance , Dieu sait qn^e tempête alors éclatera. Et de quds beaux sermons on vous réj^era.
LÉLIE.
Ah 1 trêve , je vous prie , à votre rhétorique t
Mais vous y trêve plutôt à votre politique !
Elle n'est pas fort bonne, et vous devriez tâclier...
LÉUB.
Sais-tu qu'on n'acquiert rien de bon à me f&cher, Que chez moi les avis ont de tristes salaires , Qu'un valet oonseiller y fait mal ses affaires?
HASCÀRILLE. (A part.) (Haut.)
Il se met en courroux. Tout ce que j'en ai dit N'était rien que pour rire et vous sonder l'esprit. D'un censeur de plaisirs ai4e fort l'encolure ? Et Mascarffle estrU ennemi de nature ? Tous savez le o(mtraire, et qu'il est très-certain Qu'on ne peut me taxer que d'être trop humain. Moquez- vous des sermons d'un vieux barbon de père: Poussez votre bidet , vous dis-je , et laissez faire. Ma foi, j'en suis d'avis , que ces penards chagrins Nous viennent étourdir de leurs contes badins , Et, vertueux par force , espèrent par envie Oter aux jeunes gens les plaisirs de la vie. Vous savez mon talent, je m'offre à vous senrir.
LÉLIE.
Ah I c'est par ces discours que tu peux me ravir. Au reste , mon amour, quand je l'ai fait paraître , N'a point été mal vu des yeux qui l'ont fait nattre. Mais Léaudre , à l'Instant, vient de me déclarer Qu'à me ravir Célie il se va préparer : C'est pourquoi dépêchons , et cherche dans ta tête Les moyens les plus prompts d'en faire ma conquête. Trouve ruses , détours , fourbes , inventions , Pour frustrer un rival de ses prétentions.
4 L'fiTOUKDI,
M4aC*HIIJ.K.
Laiises-moi quelque lemiie rfirer à oetle alfoiiv.
(A part.)
Que pourrais-je inventer pour ee ooup néceasaîre f Eh bien 1 le stratagème ?
■ÂSCARILLB.
Ah I comme tous courez ! Ma cerrelle toujours marche à pas mesurés. J*ai trouvé votre fait : il fiiut... Kon , je m'abuse. Mais si vous alliex...
lÉLfK,
où?
HASCARILLB.
C'est une faible ruse. J'en songeais une,..
LÉLIK.
Et quelle?
HASCARILLB.
Elle n'irait pas bie». Mais ne pourriez-vous pas.. ?
LÉLIE.
Quoi?
MASCARILLB.
Vous ne pourriez rien. Parlez avec Ansehne.
Et que lui puis-je dire ?
MASCÀRILLE.
Il est vrai , c'est tomber d'un mal dedans un pire. Il feut pourtant l'avoir. Allez chez Trufaldiiu
LÉU£.
Que faire?
MASGAJCILLK.
Je ne sais.
LéLIB.
C'en est trop , à la Sn, Et tu me mets à bout par ces contes frivoles.
MASCARILLB.
Monsieur, si vous aviez en main force pistoles , Nous n'aurions pas besoin maintenant de rêver A chercher les biais que nous devons trouver. Et pourrions , par un prompt achat de cette esclave , Emp4chef qu'un rival vous prévienne et vous brave.
ACTE I, SCÈNE III. »
De ces Égyptiens qui la mireet ici ,
TralUdin , qui la garde , est en quelque souci ;
Et trouTant son argent, qu'ils lui fout trop attendre.
Je sais bien qu'il serait très-rayi de la vendre :
Car enfin en yrai ladre il a toujours yécu ;
Il se ferait fesser pour moips d'un quart d'écu ;
Et l'argent est le dieu que surtout il révère :
MaîB le mal, c'est...
LÉUE.
Quoi? c'est...
MASCÂRULE.
Que monsieur votre père. Est un autre vilain qui ne vous laisse pas , Comme vous Toudriez bien , manier ses ducats ; Qn'U n'est point de ressort qui , pour votre ressource , Pût faire maintenant ouvrir la moindre bourse. Mais tAcbons de parler à Gëlie un moment , Pour savoir là-dessus quel est son sentiment. La fenêtre est id.
LÉLIE.
Mais Trufaldin , pour elle , Fait de nuit et de jour exacte sentinelle. Prends garde.
HASGARILLE.
Dans ce coin demeurons en repos. O bonbeur ! la voilà qui paraît à propos.
SCÈNE III.
CËLIE, LËLIE, IIÂSGARILI^. LELIE.
Ah ! que le ciel m'oblige , en offrant à ma vue Les célestes attraits dont vous êtes pourvue ! Et, quelque mal cuisant que m'aient causé vos yeuK , Que je prends de plaisir à les voir en ces lieux !
CÉLIE.
Mon Gceur , qu'avec raison votre discours étonne , N'entend pas que mes yeux fassent mal à personne ; Et si dans quelque chose ils vous ont outragé , Je puis vous assurer qtie c'est sans mon congé.
LÉLIE.
Ah ! leurs coups sont trop beaux pour me faire une injure I Je mets toute ma gloire à chérir ma blessure ,
Et...
1.
<i L'ËTOURDî,
HASCARILLE.
Vous le prenez là d'un ton un peu trop haut ; Ce style maintenant n'est pas ce qu'il nous faut. Profitons mieux du temps , et sachons vite d'elle Ce que...
TMJFALDI1I> dans sâ maison. Célie!
I1A8CARU.LE à Lélic.
Eh bien!
LÉUE.
O rencontre cruelle ! Ce malheureux Tieillard devait-il nous troubler ?
■ASCARILLE.
A.llez , reUrez-Tous ; Je saurai lui parler.
SCÈNE IV.
TRUFALDIN, CËLIE, I^LIE retiré dans un cois,
XÀSCA&ILLE.
TRUFALDIM à Célie.
Que faite»-Tous dehors? et quel soin vous talonne , Vous à qui je défends de parler à personne ?
CÉLIB.
Autrefois j'ai connu cet honnête garçon ;
Et vous n'avez pas lieu d'en prendre aucun soupçon.
HASCARILLE.
Est-ce là le seigneur Trnfaldin ?
CÉUE.
Oui , lui-même.
HASCARILLE.
Monsieur , je suis tout vôtre , et ma joie est extrême
De pouvoir saluer en toute humilité
Un homme dont le nom est partout si vanté.
TRUFALniN.
Très-humble serviteur.
HASCARILLE.
J'incommode peut-être ; Mais je l'ai vue ailleurs, où, m'ayant fait connaître Les grands talents qu'elle a pour savoir l'avenir , Je voulais sur un point un peu l'entretenir.
TRUFALDIIf.
Quoi! te mêlerais-tu d'un peu de diablerie?
ACTE I, SCÈNE IV. CÉLIE.
I9oD , tout ce que je sais n'est que blanche magie.
MASCARILLE.
Voici donc ce que c'est. Le maître que je sers
Languit pour un objet qui le tient dans ses fers ;
Il aurait bien Touhi du feu qui le dévore
PouToir entretenir la beauté qu'il adore :
Hais un dragon, TeîHant s«r ce rare trésor,
N'a pu , quoi qu'il ait fait , le lui permettre encor ;
Et ce qui plus le gène et le rend misérable ,
Il Yient de découvrir un rival redoutable :
Si bien que, pour savoir si ses soins amoureux
Ont sujet d'espérer quelque succès heureux ,
le viens vous consulter , sûr que de votre bouche
le puis apprendre au vrai le secret qui nous touche.
CÉUE.
Sous quel astre ton maître a-t-il reçu le jour?
MASCARUXE.
Sous un astre à jamais ne changer son amour.
Sans me nommer l'objet pour qui son cœur soupira ,
1^ science que j'ai m'en peut assez instruire.
Cette fille a du cœur , et , dans l'adversité ,
Elle sait conserver une noble fierté ;
Elle n'est pas d'humeur à trop faire connaître
Les secrets sentiments qu'en son cœur on fait naître.
Mais je les sais comme elle , et, d'un esprit plus doux ,
Je Tais en peu de mots vous les découvrir tous.
MASCAHILLE.
O merveilleux pouvoir de la vertu magique !
céuE. Si ton maître en ce point de constance se pique , Et que la vertu seule anime son dessein, Qu'il n'appréhende pas de soupirer en vain ; Il a lieu d'espérer , et le fort qu'il veut prendre M'est pas sourd aux traités, et voudra bien se rendre.
■ASCARILLE.
c'est beaucoup; mais ce fort dépend d'un gouverneur Difficile à gagner.
CÉUE,
C'est là tout le malheur.
■ASCARILLE à part, regardant Lélie. lu diable le fâcheux qui toujours nous éclairel
\
è L'ÊTOURDr,
CÉUE.
Je Tais TOUS enseigner ce que tous devei faire.
LÉLIB les joignant. Cessez , ô Trufaldin , de tous inquiéter ! C*est par mon ordre seul qu'il tous Tient TÎsifer , Et je tous l'enToyais , ce serTiteur fidèle , Vous offrir mon serTice, et tous parler pour elle , Dont je TOUS Teux dans peu payer la lib^ié , Pounru qu'entre nous deux le prix soit arrêté.
HASCARILLE.
La peste soit la bête I
TRCFALDIN.
Hot ho! qui des deux croire? Ce discours au premier est fort contradictoire.
HASCARILUE.
Monsieur , ce galant homme a le cerreau blessé ; He le saTez-Tons pas?
TRUFALOIR.
Je sais ce que je sai. J'ai crainte ici dessous de quelque manigance.
(àCélie.) Rentrez , et ne prenez jamais cette licence. Et TOUS , filous fieffés , ou je me trompe fort , Mettez, pour me jouer, tos tlAtes mieux d'accord.
SCÈNE V.
LÊLIE^ MASCÂRILLE.
HASCARILLE.
C'est bien fait. Je Toudrais qu'encor , sans flatterie , Il nous eût d'un bâton chargés de compagnie. À quoi bon se montrer , et , comme on étourdi , Me Tenir démentir de tout ce que je di ?
LÉLIE.
Je poasais faire bien.
MASCARILLE.
Oui , c'était fort l'entendre. Mais quoi ! cette action ne me doit point surprendre : Vous êtes si fertile en pareils contre-temps , Que TOS écarts d'esprit n'étonnent plus les gens.
UÊUE.
Àh ! mon Dieu t pour un rien me Toilà bien coupable ! te jnal est-il si grand qu'il soit irréparable ?
ACTE I, SCËIfE Yl. ^ 9
EiiAd y fli tu ne mets Gélie ^tre mes mains, Songe au moins de Léandre à rompre les dessein» ; Qn'il ne poisse acheter ayant moi cette belle. De peur que ma présence encor soit criminelle , Je te laisse.
MÂSCARILLB Mul.
Fort bien. A dire vrai , l'argent Serait dans notre aflDiire an sûr et fort agent : Mais ce ressort manquant , il faut user d'un autre.
SCÈNE VI.
ANSELME, MASGARILLE. ANSBtHE.
Par mon chef, c'est un siècle étrange que le nôtre f J'en suis confus. Jamais tant d'amour pour le bien. Et jamais tant de peine à retirer le sien I Les dettes aujourd'hui > quelque soin qu'on emploie » Sont comme les enfants, que l'on conçoit en joie , Et dont avecque peine on fait l'accouchement. L'argent dans une bourse entre agréablement ; Mai», le terme venu que nous dcTons le rendre , C'est lors que les douleurs commencent à nous prendre, la&tel ce n'est pas peu que deux mille francs, dus I>epuis deux ans entiers , me soient enfin rendus ; Encore est-ce un bonheur.
MASCARILLB , à part les quatre premiers vers.
O Dieu I la belle proir A tirer en Tolantt Chut, il faut que je voie Si je pourrais un peu de près le caresser. Je sais bien les discours dont il le faut bercer. . . Je Tienç de voir, Anselme...
ANSELME.
Et qui ?
MASCÀAILLE.
Votre Nérine.
ANSELME.
Que dit-elle de moi , cette gente assassine (1) ?
MASCARILLB.
Pour TOUS elle est de flamme.
(I) Genit ff^tB ne Teat pas dire gentille. Ce mot exprime à la fols la l^iireté dans la taille , la propreté et l'élégance dans les Télements. (Teyti Miocrr et lb Duchat.)
10 L'ÉTOURDI.
AMtEUn.
Elle?
HASOARILLE.
Et VOUS aime tant « Qne c'est grande pitié.
ÂJUSBIME.
Que tu me rends content !
■A8CARILLB.
Peu s'en faut que d'amour la pauTrette ne meure. Anselme , mon mignon , crie-t-elle à toute heure , Quand eéi-ce que l'hymen unira nos deux cœurs, Et que tu daigneras éteindre mes ardeurs ?
ANSELME.
Mais pourquoi jusqu'ici me les avoir celées ? Les filles , par ma foi , sont bien dissimulées ! Mascarille , en effet , qu'en dis-tu ? quoique vieux , J'ai de la mine encore assez pour plaire aux yeux.
MASCARILLE.
Oui . vraiment , ce visage est encor forf mettable ; $11 n'est pas des plus beaux , il est des-agréable.
ANSELME.
Si bien donc?
MASCARILLE veut prendre U bourse.
Si bien donc qu'elle est sotte de vous , Ne vous regarde plus...
ANSELME.
Quoi?
MASCARILLE.
Que comme un époux ; Et vous veut... ?
ANSELME.
Et me veut...
MASCARILLE.
Et VOUS veut , quoi qu'il tienne , Prendre la bourse...
ANSELME.
La...?
MASCARILLE prend la bourse , et la laisse tomber.
La bouche avec la sienne.
ANSELME.
A.h ! je4'entends. Viens çà : lorsque tu la verras , Vante-lui mon mérite autant que tu pourras.
MASCARILLE.
•Laissez-moi faire.
ACTE I, SCÉM£ YI. Il
ANSELME.
Adieu.
HÂSCARILLE à part.
Que le del te condiiiM !
ANSELME reTenant.
àh 1 Yraiment , je faisais une étrange sottise , Et ta pouYais pour toi m'accuser de froideur. Je t'engage à serrir mon amoareuse ardeur , le reçois par ta bouche une bonne nonvelle , Sans du moindre présent récompenser ton zèle ! Tiens , tu te souviendras...
HASGARILLB.
Ah ! non pas, s'il tous plaît.
ANSELME.
Laisse-moi...
MASCARILLE.
Point do tout. J'agis sans intérêt.
ANSELME.
Je le sais ; mais pourtant...
MA8CA1ULLB.
Non, AnseUne, vous dis-je; Je suis liomme d'honneur , cela me désoblige.
AHSSLHB.
Adieu donc, Mascanlle.
■ASCAHILLB à part.
O longs discours !
ANSELME rerenant.
Je veun Régaler par tes mains cet oljet de mes vœux ; Et je vais te donner de que» faire pour elle L'achat de quelque bague , ou telle bagatelle Que tu trouveras bon.
HASCARILU.
Non , laissez votre argent : Sans vous mettre en sond , )e ferai le présent; Et l'on m'a mis en main une bague à la mode , Qu'après vous payerez, si cela l'accommode.
ANSELME.
Soit ; donne-la pour moi : mais surtout fais si bien Qu'elle garde toujours l'ardeur de me voirsien.
Ï1 L'ETOURDI,
SCÈNE VIL
LÉLIE, AKSELME, MASCÀRILLE.
LÉUE ranasMot U bourae. À qui la bourse ?
ANSEUIB.
Ah ! dieux ! elle m*était tombée ! Et j'aurais après cru qu'on me l'eftt dérobée ! Je TOUS suis bien tenu de ce soin obligeant, Qui m'épargne un grand trouble et me rend mon argent. Je vais m'en décharger au logis tout à l'heure.
SCÈNE VIII.
L£LIE, MASCARILLE.
MASCARILLE.
C'est être officieux , et très^brt, ou je meure.
LÉLDS.
Ma foi 1 sans moi, l'argent était perdu pour lui.
MASCARUXE.
Certes, vous faites rage, et payez aujourd'hui D'un jugement très-rare et d'un bonheur extrême ; Nous avancerons fort, continuez de même.
LÉLUS.
Qn'estce donc ? Qu'ai-je fait ?
HASGAIULLE.
Le sot , en bon f rançois , Puisque je puis le dire , et qu'enfin je le d<^. Il sait bien l'impuissance où son père le laisse ; Qu'un rival qu'il doit craindre, étrangement nous presse i Cependant, quand je tonte un coup pour l'obliger. Dont je cours moi tout seul la honte et le danger. . .
LÉLIE.
Quoi! c'était... ?
MASCARILLE.
Oui , bourreau , c'était pour la captive Que j'attrapais l'argent dont votre soin nous prive.
LÉLIE.
S'il est ainsi , j'ai torl ; mais qui l'eût deviné?
MASCARILLE.
Il fallait , en efTet, être bien raffiné!
ACTE I, SCÈNE IX. |j
LÉLIE.
Tu me deyais par signe avertir de i'aftaire.
. . HA8GARILLE.
Otti , je devais au dos avoir mon luminaire. An nom de Jupiter , laissez-nous en repos , Et ne nous chantez plus d'impertinents propos î Un autre , après cela, quitterait tout peut-être ; Mais J'avais médité tantôt un coup de maître , Dont tout présentement je veux voir les effets ; Alachar^^quesi...
LÉLIB.
Non , je te le promets , De ne me mêler plus de rien dire ou rien faire.
MASCARILLE.
Allez donc; votre vue excite ma colère.
. LÉLIE.
Mais surtout hâte-toi, de peur qu'en ce dessein...
MASCARILLE.
Mlez , encore un coup ; j'y vais mettre la main.
( Lélie sort. )
Moaons bien ce projet; la fourbe sera fine , lu "* ^"'^^^ succède ainsi que j'hnagine. Allons voir. .. Bon , voici mon honune justement.
SCENE IX.
PANDOLFE , MASCARILLE. PAMDOLFB.
Mascaritte.
MASCARILLE.
Monsieur.
PANDOLFE.
A parler franchement , Je suis mal satisfait de mon fils.
MASCARILLE.
De mon maître ? Vous n'êtes pas le seul qui se plaigne de l'être : Sa mauvaise conduite , insupportable en tout , Met à chaque moment ma patience à bout.
PANOOLPE.
Je VOUS croyais pourtant assez d'intelligence Ensemble.
U I.'ËTOURDI,
HASCARILLE.
Moi? Monsieur , perdez cette «royauee; Toujours de son deToir je tâche à Tavertir, Et Ton nous Toit sans cesse aToir maiUe à partir (1). A l'Iieure même encor nous avons eu quereile Sur l'hymen d'HippoIyte, où je le yois rebelle. Où , par rindignité d*un refus criminel , Je le Tois ofTenser le respect paternel.
PARDOLFB.
Querelle?
HASCARILLE.
Oui y querelle, et bien avant poussée.
PAIIDOLFE.
Je me trompais donc bien ; car j'avais la pensée Qu'à tout ce qu'il faisait tu donnais de l'appui.
MASCARILLE.
Moi? Voyez ce que c'est que du monde ai^ourd'liui , Et comme l'innocence est toujours opprimée ! Si mon intégrité vous était confirmée , Je suis auprès de lui gagé pour serviteur , Tous me voudriez encor payer pour précepteur : Oui , vous ne pourriez pas lui dire davuatage Que ce que je lui dis pour le faire être sage. Monsieur , au nom de Dieu, lui fais-je assez souvent, Cessez de vous laisser conduire au premier vent ; Réglez-vous; regardez l'honnête homme de père Que vous avez du ciel , comme on le considère ; Cessez de lui vouloir donner la mort au cœur, Et, comme lui, vivez en personne d'honneur.
PAROOLFE.
C'est parler comme il faut. Et que peut-il répondre ?
MASCARILLE.
Répondre? Des chansons dont il me vient confondre. Ce n'est pas qu'en effet , dans le fond de son cœnr , H ne tienne de vous des semences d'honneur ; Mais sa raison n'est pas maintenant la maîtresse.
(I) jivoir maUU àparUrt c'eit-à-dire à se partager, da latin partiri. La maille était une petite moniule de si pea de valeur qu'elle ne pouvait être dlTisée. De là le proverbe avoir maille à partir, se disputer sur tiD partage Impossible , et par extension avoir une dispute Intermina- ble. Ménage dit que cette monnaie était ainsi appelée du vieux mot fran- çais tnaille, qui slgntfle yi^rur^ carrée, parce que la maille avait cette forme. N'avoir ni denier ni mattle signifiait antrefols n'avoir aucune sorte de monnaie , ni ronde ni carrét.
ACTE 1, SCÈNE IX. 1&
Si je pouTais parler avecque hardiesse ,
Vous le Terriez dans pen soaiiiis sans nul effort.
PANBOLFE.
Parle.
MASCARILLE.
C'est un secret qui m'importerait fort S'il était découvert; mais à votre prudence Je le puis confier avec tonte assurance.
PÂRDOLFE.
Tu dis bien.
MASCARILLE.
Sachez donc que vos vœux sont trahis Par l'amour qu'une esclave imprime à votre fils.
PANDOLFE.
On m'en 'avait parlé ; mais l'action me touclie De voir que je l'apprenne encore par ta l)ouclie.
MASCABILLE.
Vous voyez si je suis le secret confident...
PANDOLFE.
Vraiment je suis ravi de cela.
HASCAIULLE.
Cependant A son devoir, sans bruit, désirez-vous le rendre ? II faut... J'ai toujours peur qu'on nous vienne surprendre x Ce serait ùdt de moi, s'il savait ce discours. Il faut , disje , pour rompre à toute chose cours , Acheter sourdement l'esclave idolâtrée , Et la faire passer en une autre contrée. Anselme a grand accès auprès de Trufaldin ; Qu'il aille l'acheter pour vous dès ce matin : Après , si vous voulez en mes mains la reviettre , Je connais des marchands , et puis bien vous promettre D'en retirer l'argent qu'elle pourra coûter, Et , malgré votre fils , de la faire écarter ; Car enfin , si l'on veut qu'à l'hymen il se range , A cet amour naissant il faut donner le change ; Et de plus , quand bien même il serait résolu , Qu'il aurait pris le joug que vous avez voulu , Cet antre objet, pouvant réveiller son caprice , Au mariage encor peut porter préjudice.
PANDOLFE.
c'est très-bien raisonner ; ce conseil me platt fort. . . Je vois Anselme ; va , je m'en vais faire effort Pour avoir promptement cette esclave funeste ,
16 L'£TOURDl,
Et la mettre en tes mains pour achever le resta.
MASCARILLE seul
Bon; allons avertir mon maître de ceci. ViTe la fourberie , et les fourbes aussi 1
SCÈNE X.
HIPPOLTTE, MASCARILLE
HIPPOLYTE.
Oui f traître , c'est ainsi que tu me rends service ! Je viens de tout entendre, et voir ton artifice : A moins que de cela , Teussé-je soupçonné ? Tu couches d'imposture (1) , et tu m'en as donné. Tu m'avais promis, lâche , et j'avais lieu d'attendre Qu'on te verrait servir mes ardeui^ pour Léaudre; Que du choix de Lélie, où l'on veut m'obliger, Ton adresse et tes soins sauraient me dégager ; Que tu m'aflranchirais du projet de mon père : Et cependant ici tu fais tout le contraire ! Mais tu t'abuseras ; je sais un sûr moyen Pour rompre cet achat où tu pousses si bien ; Et je vais de ce pas...
MASGÀRILLE.
Ah ! que vous êtes prompte ! La mouche tout d'un coup à la tète vous monte (2) , Et, sans considérer s'il a raison ou non, Votre esprit contre moi fait le petit démon. J'ai tort, et je devrais , sans finir mon ouvrage , Vous faire dire vrai, puisqu'ainsi Ton m'outrage.
niPPOLTTE.
Par quelle illusion penses-tu m'éblouir ? Traître, peux4u nier ce que je viens d'ouir?
MASGARILLE.
Non. Mais il fout savoir que tout cet artifice Me va directement qu'à vous rendre service ; Que ce conseil adroit , qui semble être sans lard ,
(f ) Cottcher d'impotturct pour payer de rusett de tneiuonget. Cette manière de s'exprimer, dit Voltaire, n'est plus admise : elle vient du ]ea. On disait : couché de vingt pistoles ^ de trente pistolet, eouehê belle.
(t) Imitation du proverbe italien : salir le mosche al naso. On dit pro- verbialement en français, qa'un homme est tendre aux mavuhet, qall prend la numche, que la mouche le pique, pour exprimer qu'il eit trqp sasceptible, qu'il se fâcbe mal à propos. ( B.)
ACTE I , SCÈNE X. 17
lette dans le panneau l'un et l'autre vieillard (1) ; Que «non soin par leurs mains ne veut avoir Célie, Qu'à dessein de la mettre au pouvoir de Lélie » Et faire que, FefTet de cette invention Dans le dernier excès portant sa passion , Ansdme , rebuté de son prétendu gendre , Puisse tourner son choix du côté de Léandre.
HffPOLYTE.
Quoi ! tout ce grand projet, qui m'a mise en courroux , Tu l'as formé pour moi, Mascarille?
MASCARILLB.
p Oui, pour vous.
Mais puisqu'on reconnaît si mal mes bons offices , Qu'il me faut de la sorte essuyer vos caprices , Et que , pour récompense , on s'en vient , de hauteur , Me traiter de faquin , de lâche, d'imposteur , Je m'en vais réparer l'erreur que j'ai commise , Et dès ce même pas rompre mon entreprise.
HIPPOLTTE rarrétant.
Eh ! ne me traite pas si rigoureusement ,
Et pardonne i^ux transports d'un premier mouvement .
MASCARILLE.
If on , non , laissez-moi faire ; il est en ma puissance De détourner le coup qui si fort vous offense. Vous ne vous plaindrez point de mes soins désormais ; Oui, vous aurez mon madtre, et je vous le promets.
HIPPOLYTE.
Eh ! mon pauvre garçon , que ta colère cesse ! J'ai mal jugé de toi, j'ai tort, je le confesse.
(Tirant sa bourse.)
Mais je veux réparer ma faute avec ceci. Pourrais-tu te résoudre à me quitter ainsi ?
MASCARILLE.
Jfon , je ne le saurais, quelque elTort que je fasse; Mais votre promptitude est de mauvaise grâce. Apprenez qu'il n'est rien qui blesse un noble cœur Comme quand il peut voir qu'on le touche en l'honneur.
HIPPOLYTE.
Il est vrai , je t'ai dit de trop grosses injures : Mais que ces deux louis guérissent tes blessures.
(I) On appelle panneau un Qletà prendre des lièvres, des lapins, eic. De là les expressions proverbiales donner, se jeter, cl jeter quelqu'un dans le panneau. (A.)
2.
IS L*£TOURDI,
màscarille. Eh ! tout cela n*est rien; je suis tendre à ces cou|)s. Mais déjà je commence à perdre mon courroux ; Il faut de ses amis endurer quelque chose.
HIPPOLTTB
Pourras-tu mettre à fin ce que je me propose , Et crois-tu que l'effet de tes desseins hardis Produise à mon amour le succès que tu dis ?
MASCARILLE.
M*ayez point pour ce fait Tesprit sur des épines. Jai des ressorts tout prêts pour diverses machines ; Et quand ce stratagème à nos vœux manquerait , Ce qu*il ne ferait pas , un antre le ferait.
BIPPOLYTE.
Crois qu'Hippolyte au moins ne sera pas ingrate.
MASCARILLE.
L'espérance du gain n'est pas ce qui me flatte.
BIPPOLYTE.
Ton maître te fait signe , et veut parler à toi : Je^te quitte; mais songe à bien agir pour moi.
SCÈNE XL
LÉLIEy BfASCARILLE.
LÉLIE.
Que diable fais-tu là ? Tu me promets merveille ; Mais ta lenteur d'agir est pour moi sans pareille. Sans que mon bon génie au-devant m'a poussé, Déjà tout mon bonheur eût été renversé. C'était fait de mon bien, c'était fait de ma joie , D'un regret étemel je devenais la proie; Bref , si je ne me fusse en ces lieux rencontré , Ànsehne avait l'esclave , et j'en étais frustré ; Il l'emmenait chez lui : mais j'ai paré l'atteinte , J'ai détourné le coup , et tant fait que , par crainte > Le pauvre Trufaldin l'a retenue.
MASCARILLE.
Et trois : Quand nous serons à dix, nous ferons une croix. C'était par mon adresse, ô cervelle incurable, Qu'Anselme entreprenait cet achat favorable ; ICntre mes propres mains on la devait livrer ; Et vos soins endiablés nous en viennent sevrer.
ACT£ II, SGÊN£ I. 19
Et pais pour votre amour je m'emploierais encore ! J'aimerais mieux cent fois être grosse pécore , Devenir cruche , chou , lanterne , loup-garou , Et que monsieur Satan tous vint tordre le cou.
LÉLIB seal. 11 nous le faut mener en quelque hételierie , Et faire sur les pots décharger sa furie.
ACTE IL
SCÈNE PREMIÈRE.
LËLIE, MâSCARILLE. HASCARILLE.
A vos désirs enfin il a fallu se rendre :
Malgré tons mes serments, je n'ai pu m'en défendre ,
£t pour vos intérêts , que je voulais laisser ,
En de nouyeaux périls viens de m'embarrasser.
le sois ainsi facile ; et si de Slascarille
Madame la nature avait fiût une fille.
Je TOUS laisse à penser ce que c'aurait été.
Toutefois n'allez pas, sur cette sûreté ,
Donner de tos revers au projet que ^ tente ,
Me faire une béTue , et rompre mon attente.
Auprès d'Anselme encor nous vous excuserons ,
Pour en pouvoir tirer ce que nous désiroas ;
Mais si dorénavant votre imprudence éclate ,
Adieu y vous dis , mes soins pour l'objet qui vous flatte.
LéLIE.
Non , je serai prudent, te dis-je , ne crains rien : Tu Terras seulement...
MASCARUXE.
Souvenest-vous-en bien ; J'ai commencé pour tous un hardi stratagème. Votre père fait voir une paresse extrême A rendre par sa mort tous tos désirs contents ; Je Tiens de le tuer (de parole , j'entends) : Je fais courir le bruit que d'une apoplexie Le bon homme surpris a quitté cette vie. Mais aTant, pour pouvoir mieux feindre ce trépas, J'ai fait que vers sa grange il a porté ses pas ;
20 L'ËTOU&DI,
On est venu lai dire , et par mou artifice ,
Que les ouvriers qui sont après sou édifice ,
Paimi les fondements qu'ils en jettent encor ,
ÀTaient &it par hasard rencontre d'un trésor.
Il a YoIé d'abord ; et comme à la campagne
Tout son monde à présent , hors nous deux, l'accompagne ,
Dans l'esprit d'un chacun je le tue aujourd'hui ,
Et produis un fantôme 'enseveli pour lui.
Enfin , je vous ai dit à quoi je vous engage.
Jouez Inen Totre rôle ; et pour mon personnage ,
Si Yous apercevez que j'y manque d'un mot ,
Dites absolument que je ne suis qu'un sot.
SCÈNE II.
LÉLIE.
Son esprit , il est vrai , trouve une étrange voie
Pour adresser mes vœux au comble de leur joie ;
Mais quand d'un bel objet on est bien amoureux ,
Que ne feraiton pas pour devenir heureux ?
Si l'amour est au crime une assez belle excuse ,
Il en peut bien servir à la petite ruse
Que sa flamme aujourd'hui me force d'approuver,
Par la douceur du bien qui m'en doit arriver.
Juste ciel ! qu'ils sont prompts ! Je les vois en parole (t)
Allons nous préparer à jouer notre rôle.
SCÈNE III.
ANSELME, MÂSCARILLE. MASCARILLB.
La nouvelle a sujet de vous surprendre fort.
ANSELME.
Être mort de la sorte !
MASCARILLE.
Il a , certes , grand tort : Je lui sais mauvais gré d'une telle incartade.
ANSELME.
N'avoir pas seulement le temps d*étre malade I
(i) Être en paroles, pour converser, s'entretenir. On dit encore aa* Jourd'btti , ils sont, en paroleslde mariage , en paroles d'itffaires. Ces phrases toutes faites dérivent pent-étre de la phrase dont MoUire le sert ici, et qui n'est plus d'usage.
ACTE II, SCÈNE IIl. 21
MASCARILLE.
non. Jamais homme n'eûtsi hâte de mourir.
ANSELME.
EtLélie?
MASCARILLE.
Il se bat , et ne peut rien soufnrir : 11 8%8t fait en maints lieux contusion et bosse , Et Teat accompagner son papa dans la fosse : Enfin t poar achever, l'excès de son transport M'a fait en grande hâte ensevelir le mort , De peor que cet <^jet , qui le rend hypocondre , A Élire un vilain coup ne me Tatlàt semondre (1).
ANSELME.
N'importe , tu devais attendre jusqu'au soir ; Outre qu'encore un coup j'aurais youIu le voir, Qui tdt ensevelit , bien souvent assassine; Et tel est cru défunt, qui n'en a que la mine.
MASCARILLE.
le VOUS le garantis trépassé comme il faut.
Au reste , pour venir au discours de tantôt ,
Lélle (et l'action lui sera salutaire)
D^un bel enterrement veut régaler son père ,
Et consoler un peu ce défunt de son sort ,
Par le plaisir de voir faire honneur à sa mort.
Il hérite beaucoup; mais comme en ses affaires
Il se trouve assez neuf et ne voit encor guères.
Que son bien la plupart n'est point en ces quartiers ,
Ou que ce qu'il y tient consiste en des papiers ,
Il voudrait vous prier, ensuite de l'instance
D'excuser de tantôt son trop de violence ,
De lui prêter au moins pour ce dernier devoir...
ANSELME.
Tu me l'as déjà dit , et je m'en vais le voir.
MASCARIIXE seul.
Jusques id du moins tout va le mieux du monde. T&chons à ce progrès que le reste réponde ; Et, de peur de trouver dans le port un écueil , Conduisons le vaisseau de la main et de l'œil.
(<) Semondn, de tubnumeret InTlter, convier. Il est bon de remtr- qper que ce mot était liors d*iingc longtemps avant MoUère.
21 L'ÉTOUKDI,
SCENE IV.
ANSELME LÉUE , HASCARILLE.
Sortons ; je ne saarats qu'a?ee douleur très-forte Le Toir empaqueté de cette étrange sorte. Las ! en si peu de temps ! il vivait ce matin!
MASCARILLfi.
En peu de temps parfois on fait bien du chemin. -
LâJB pleoraot. Ahl
ANSELME.
Hais quoi , cher Léiie ! enfin il était homme. On n'a point pour la mort de dispense de Rome.
LÉLIE.
Ah!
ANSELME.
Sans leur dire gare , elle abat les humains , Et contre eux de tout temps a de mauvais desseins.
LÉUB.
Ah!
ANSELME.
Ce fier animal » pour toutes les prières , Ne perdrait pas un coup de ses dents meurtrières ; Tout le monde y passe.
LÉUE.
Ah!
MASCARILLE.
Vous avez beau pièciier, Ce deuil enracmé ne se peut arracher.
ANSELME.
Si , malgré ces raisons , votre ennui persévère , Mon cher Lélie , au moins faites qu*il se modère.
UÊUE.
Ah!
MASCARILLE.
Il n'en fera rien , je connais son humeur.
ANSELME.
Au reste , sur Favis de votre serviteur. J'apporte ici l'argent qui vous est nécessaire Pour faire célébrer les obsèques d'un père.
LÉLIE.
Ah! ah!
ACTE II , SCÈNE V. Î3
MASCARILLB.
Comme à ce mot s'augmeute sa douleur ! Il ne peut , sans mourir, songer à ce malheur.
▲RSEUIE.
Je sais que tous Terrez aux papiers du bon homme Que je suis débiteur d'une plus grande somme ; Mais y quand par ces raisons je ne tous deTrais rien , Vous pourriez librement disposer de mon bien . Tenez, je suis tout Tôtre, et le ferai paraître.
UÊUB •*«! ailaot. Ah!
■ASCARILLE.
Le grand déplaiâr que sent monsieur mon maître.
ANSELME.
If ascarille , je crois qu'il serait à propos Qu'il me fît de sa main un reçu de deux mots.
MASCABILLB.
Ah!
ANSELME.
Des éTénements l'incertitude est grande.
HASCÀRILLE.
Ah!
ANSELME.
Faisons-lui signer le mot que je demande.
MASCARILLE.
Las ! en l'état qu'il est, conament tous contenter?
Donnez-lui le loisir de se désattrister ;
Et quand ses déplaisirs prendront quelque allégeance ,
J'aurai soin d'en tirer d'abord Totre assurance.
Adieu. Je sens mon cœur qui se gonfle d'ennui ,
Et m'en Tais tout mon soûl pleurer aTecque lui.
Ah!
ANSELME seul.
Le monde est rempli de beaucoup de traTerses : Chaque homme tous les jours en ressent de dÎTerses ; Et jamais ici-bas...
SCENE V.
PAWDOLFE, ANSELME. ANSELME.
Ah ! bon Dieu ! je frémi! Pandolfe qui rcTient I Fût-il bien endormi (1) !
4
(i) Ce demi- Tcrs Ml obscur. Anselme tcuI dire sans doute : PIùU
24 L'ÉTOURDI,
Comme depuis sa mort sa face est amaigrie |
Las ! ne m'approdiez pas de plus près, je tous prie
J'ai trop de répugnance à coudoyer un mort.
PÀRDOLFK.
D'où peut donc provenir ce bizarre transport ?
Dites-moi de bien loin quel sujet tous amène. Si pour me dire adieu yqus prenez tant de peine , C'est trop de courtoisie , et véritablement Je me serais passé de votre compliment. Si votre âme est en peine , et cherche des prières , Las! je vous en promets , et ne m'effrayez guères ! Foi d'homme épouvanté , je vais faire à l'instant Prier tant Dieu pour vous que vous serez content.
Disparaissez donc, je vous prie ,
Et que le dd , par sa bonté ,
Comble de joie et de santé
Votre défunte seigneurie I
PÂin)OLFB riant.
Malgré tout mon dépit , il m'y faut prendre part.
ANSELME.
Las ! pour un trépassé vous êtes bien gaillard.
PÀNDOLFE.
Est-ce jeu , dites-nous , ou bien si c'est folie , Qui traite de défunt une personne en vie ?
ANSELME.
Hélas! vous êtes mort , et je viens de vous voir.
PANDOLFE.
Quoi ! j'aurais trépassé sans m'en apercevoir ?
ANSELME.
Sitdt que Mascarille en a dit la nouvelle , J'en ai senti dans Tftme une douleur mortelle.
PANDOLFE.
Mais, enfin, dormez-vous? étes-vous éveillé? Me connaissez-vous pas ?
ANSELME.
Vous êtes habillé D'un corps aérien qui contrefait le vêtre , Mais qui dans un moment peut devenir tout autre. Je crains fort de vous voir comme un géant grandir, Et tout votre visage affreusement laidir.
Dieu qu'il dormit en paix! que rien ne troublât le repos de son flmr, car U ne doute pas un seul instant que son ami ne soit mort , comme le prouve le tcts sulrant
ACTE fr, SCÈNE V. ÏS
Pour Dieu ! ne prenez point de Yilaine figure ; J'ai prou de ma frayeur en cette conjoncture (1).
PANDOLFE.
En une autre saison , cette naïveté Dont vous accompagnez votre crédulité , Anselme, me serait un charmant badlnage. Et j'ai prolongerais le plaisir davantage : Hais , ayec cette mort , un trésor supposé , Dont parmi les chemins on m'a désabusé. Fomente dans mon âme un soupçon légitime. MascariUe est un fourbe , et fourbe fourbissime » Sur qui ne peuvent rien la crainte et le remords , Et qui pour ses desseins a d'étranges ressorts.
ANSELME.
M'anrait-on joué pièce et fait supercherie.' Ah ! vraiment , ma raison , vous seriez fort jolie ! Touchons un peu pour voir : en effet, c'est bien lui. Malepeste du sot que je suis aujourd'hui ! De gr&ce , n'allez pas divulguer un tel conte ; On en ferait jouer quelque farce à ma honte : Mais, Pandolfe, aidez-moi vous-même à retirer L'argent que j'ai donné pour vous faire enterrer.
PAimOLFE.
De l'argent, dites-vous? Ah I c'est donc l'enclouure 1
Voilà le nœud secret de toute l'aventure !
A votre dam. Pour moi , sans m'en mettre en souci ,
le vais faire informer de cette affaire ici
Contre ce Mascarille; et si l'on peut le prendre ,
Qnoi qu'il puisse coûter, je le veux foire pendre.
ANSELME seul.
Et moi , la bonne dupe à trop croire un vaurien , Il faut donc qu'aujourd'hui je perde et sens et bien. U me sied bien , ma foi , de porter tête grise , Et d'être encor si prompt à fiiire une sottise ; D'examiner si peu sur un premier rapport... MaisjeTois...
(«) Pnyu, Yleax mot qui signifie omox, beaucoup. H n'e»t plus d'u- MW que dansées phrases familières : peu ou prou, ni peu ni prou-
2* L*£TODRDI,
SCÈNE VI.
LËLIE, ANSELME.
LÉLiFfSans Toir Anselme. Maintenant , avec ce passe-port , Je puis à Trufaldin rendre aisément Ytsite.
ANSELME.
k ce que je puis ?oir, votre douleur vous quitte?
LÉLIE.
Que dites-vous .' Jamais elle ne quittera Un cœur qui chèrement toujours ta nourrira.
ANSELME.
le reviens sur mes pas vous dire avec frarichise
Que. tantôt avec vous j'ai fait une méprise ;
Que parmi ces louis , quoiqu'ils semblent très-beaux ,
J'en ai , sans y penser, mêlé que je tieas faux ;
Et j'apporte sur moi de quoi mettre en leur place.
De nos faux monnayeurs l'insupportable audace
Pullule en cet Ëtat d'une telle façon ,
Qu'on ne reçoit plus rien qui soit hors de soupçon.
Mon Dieu ! qu'on ferait bien de les faire tous pemire !
LÉLie. Vous me faites plaisir de les youloir'reprendrc ; Mais je n'en ai point vu de faux , comme je croi.
ANSELME.
Je les connaîtrai bien : montrez, montrez-tes-nioi. Est-ce tout ?
LÉLIE.
Oui.
ANSELME .
Tant mieux. Enfin je vovs raccroche Mon argent bien-aîmé ; rentrez dedans ma poche ; Et voua, mon brave escroc, vous ne tenez pkis rien. Vous tuez donc des gens qui se portent fort bien .' Et qu'auriez-vous donc fait sur moi , chétif béftu-pèrer Ma foi , je m'engendrais d'une belle manière. Et j'allais prendre en vous un beau-fils fort discret ! Allez , allez mourir de honte et de regret.
LÉLIE,seul.
Il faut dire : J'en tiens. Quelle surprise extrême I D'où peut-il avoir su sitôt le stratagème?
ACTE II, SCÈNE Vil. 27
SCÈNE VII.
LËLIE, MÂSGARILLE. IIA8CAR1LLE.
Quoi ! TOUS étiez sorti ? Je tous dierchais partout. Eh bien ! en sommes-nous enfin venus à bout ? Je le donne en six coups au foorbe le plus brave, çà , donnez-moi que j'aille acheter notre esclave : Votre rival après sera bien étonné.
LÉLIE.
Ah ! mon pauvre garçon , la chance a bien tourné ! Poorrais-tu de mon sort deviner rinjustice?
MASCARILtE.
Quoi ! que serait-ce ?
LÉLlE.
Anselme , instruit de l'artifice » M'a repris maintenant tout ce qu'il nous prétait , Sous couleur de changer de Tor que Ton doutait.
MÂSCARILLE.
Vous vous moquez peutrétre?
LÉLIE.
U est trop véritable.
MASCARILLE.
Tout de bon ?
LÉLIE.
Tout de bon ; j'en suis inconsolable. Tu te vas emporter d*un courroux sans égal.
MASCARILLE.
Moi, monsieur I Quelque sot(l) : la colère fait mal , Kl je veux me choyer, quoi qu'enfin il arrive. Que Célie , après tout , soit ou libre ou captive , Que Léandre l'achète , ou qu'elle reste là , Pour moi , je m'en soude autant que de cela.
LÉLIE.
Ah ! n'aye point pour moi si grande IndifTérence, Et sois plus indulgent à ce peu d'imprudence ! Sans ce dernier malheur, ne m'avoueras-tu pas Que j'avais fait merveille , et qu'en ce feint trépas J'éludais un chacun d'un deuil si vraisemblable, Que les plus dairvoyants l'auraient cru véritable?
(I) n faut soppléer te ferait; nuits Je ne le ferai pas. Celle locution elllpU<|ue, très-commane dant nos ancleanes comédies, etl encore d'u- sage dans la conTersatton (A.)
M LȃTOlBl)!,
MASCAIULLE.
Vous avei en effet sujet de tous louer.
Eh bien I je suis coupable, et je veux l'avouer. Mais si jamais mon bien te fut considérable (1) , Répare ce malheur, et me sois secourable.
MÀSCARILLE.
Je TOUS baise les mains ; je n'ai pas le loisir.
LÉ3JE.
Mascarille ! mon fils !
MASCARILLE.
Point.
LÉLIE.
Fais-moi ce plaisir.
MASCARILLE.
Non , je n'en ferai rien.
LÉLIE.
Si tu m*es inflexible , le m'en vais me tuer.
MASCARILLE.
Soit ; il TOUS est loisible. lélie Je ne te puis fléchir.'
MASCARILLE
Non.
LÉLIE.
Vois-tu le fer prêt.»
MASCARILLE.
Oui.
LÉUE.
Je Tais le pousser.
MASCARILLE.
Faites ce qu'il tous platt.
LÉUE.
Tu n'auras pas regret de m'arracher la Tie ?
MASCARILLE.
Non.
LÉLIE.
Adieu , Mascarille.
MASCARILLE.
Adieu , monsieur Lélie.
LÉLIE
Quoi!...
a) Si imuUi man bitn UfutetmtidérabU, c'est-à-dire, tl Jaioatt mon bleo te fut cher, ftit de quelque prix A tes yeux. Autrefol», «OfMM«- roftto l'employait avec un régime.
ACTK II, SCÈNE VIII. , •»«
MASCAIIILLE.
Tuez-vous donc yite. Ab.! que de longs devis <1) l
LÉLIE.
Tu voudrais bien , ma foi, pour avoir mes habits. Que je fisse le sot, et que je me tuasse.
HASCARILLE.
Savais-je pas qu'enfin ce n'était que grimace ; Et, quoi que ces esprits jurent d'effectuer. Qu'on n'est point aujourd'hui si prompt à se tuer ?
SCÈNE VIII.
TRUFALDIN, LËÀNDRE, LËLIE, MASCAKILLE. (Trufaldin paHe l>as à Léaodre dans le fond du théAtre.)
LÉLIE. Que vois-je? mon rival et Trufaldin ensemble ! Il achète Célie; ah ! de frayeur je tremble.
MASGAAllXE.
Il ne faut point douter qu'il fera ce qu'il peut. Et, s'il a de l'argent, qu'il pourra ce qu'il veut. Pour moi , j'en suis ravi. Voilà la récompense De vos brusques erreurs , de votre impatience.
LÉLIE.
Que dois-je faire ? dis ; veuille me conseiller.
MASGAAILLE.
Je ne sais.
LÉLIE.
Laisse-moi , je vais le quereller.
HASCARILLE.
Qu'en arrivera-t-il?
LÉUE.
Que veux-tu que je fasse Pour empêcher ce coup ?
MASCARILLE.
ADez, je vous fais grâce ; Je jette encore un œil pitoyable sur vous , laissez-moi l'observer; par des moyens plus doux le vais, comme je crois, savoir ce qu'il projette.
(Létic suri.) TRUFAIJ>1M à Léandre.
Quand on viendra tantôt, c'est une affaire faîte.
( Trufaldin sort. ) <i) i}€vi$, propos, familiers., propos qui font passer le temps.
3.
30 L'ETOURDI,
■ASCÀRILLB à part, en s*eu altanC.
Il faut que je rattrape, et que de ses deneins Je sois le confident, pour mieux les rendre vains.
LÉANDRB seul.
Grâces au ciel, voità noon bonheur hors d'atteinte; J'ai su me l'assurer, et je n'ai pins de crainte. Quoi que désormais puisse entreprendre un rival , Il n*est plus en pouvoir de me faire du mal.
SCÈNE IX.
IXAMDRE, MASCARIIXE.
M ASCAKILLE dte ces deux vers duM b maison , et entre sur le théâtre. Ahi ! à l'aide ! au meurtre I au secours ! on m'assonmie ! Ah! ah! aiifidiîah! ahfo trattre ! d bourreau d'homme f
D'où procède cela? Qu'est-ce? que te fait-on i^
il48CARlI.LE.
On vient de me donner deux cents coups de bâton.
LÉANimE.
Qui?
HASCARILLI-:.
Léfie.
LÉANDRE.
Et pourquoi?
MASeARILLE.
Pour une bagatelle Il me chasse, et me bat d'une façon cruelle.
LÉANDRE.
Ah ! vraiment il a tort.
MASCARILLE.
Mais , ou je ne pourra! , Ou je jure bien fort que je m'en vengerai. Oui , je te ferai voir, batteur que Dieu confonde , Que ce n'est pas pour rien qu'il faut rouer le monde $ Que je suis un valet , mais fort homme d'honneur, Et qu'après m'avoir eu quatre ans pour serviteur , Il ne me fallait pas payer en coups de gaules , Et me faire un afiront si sensible aux épaules . Je te le dis encor, je saurai m'en venger : Une esclave te plaît , tu voulais m'engager A la mettre en tes mains, et je veux faire en sorte Qu'un autre te l'enlève , ou le diable m'emporte.
ACFE 11^ SCÈNE IX. 31
LÉANDBE.
Ecoute , Mascarille , et quitte ce traitt|M>rt. Tu m*aA plu de tout temps , et je souhaitais tort Qu'un garçon comme toi , plein d*esprit et fidèle , A mon service un jour pût attacher son zèle : Enfin, si le parti te semble bon pour toi , Si tu veux me senrir, je t'arrête avec moi.
MASCARILLE.
Oui , monsieur, d'autant mieux que le destin propice M'offre à me bien venger, en vous rendant service ; Et que, dans mes efforts pour vos eontentements , le puis à mon brutal trouver des châtiments : De Célie , en un mot, par mon adresse extrême. ..
LÉANDRE.
Mon amour s'est rendu cet office lui-même. Enflammé d'un objet qui n'a point de défaut, Je viens de l'acheter moins encor qu'il ne vaut.
MASCARILLE.
Quoi l célie est à vons ?
LÉANDRE.
Tu la verrais paraître , Si de mes actions j'étais tout à fait maître : Mais quoi î mon père Test : comme il a volonté , Ainsi que je l'apprends d'un paquet apporté , De me déterminer à l'hymen d'Hippolyte , J'empêche qu'un rapport de tout ceci l'irrite, Donc avec Trufaldin (car je sors de chez lui) J'ai voulu tout exprès agir au nom d'autroi ; Et l'achat fait, ma bague est la marque choisie Sur laquelle au premier il doit livrer Célie. Je songe auparavant à chercher les moyens D'ôter aux yeux de tous ce qui charme les miens; A trouver promptement un endroit favorable Où puisse être en secret cette captive aimable.
MASCARILLE.
Hors de la ville un peu, je puis avec raison D'un vieux parent que j'ai vous offrir la maison ; Là vous pourrez la mettre avec toute assurance , Et de cette action nul n'aura connaissance.
LÉANBRE.
Oui, ma foi, tu me fais un plaisir souhaité. Tiens donc, et va pour moi prendre cette beault . Dès que par Trufaldin ma bague sera vue , Aussitôt en tes mains elle sera rendue.
9t L'£TOURDI,
Et dans cette maiaoïi tu me la conduiras , Quand... Mais chut, Hippolyte ettid tur nos pv.
SCÈNE X.
HIPPOLYTE, LÉANDRE, MASCARILLE.
HIPPOLYTB.
le dois TOUS annoncer, Léandre , une nouvelle ; Mais la trouveres-YOus agréable ou cruelle ?
LÉAMnas. Pour en pouvoir juger et répondre soudain , Il faudrait la savoir.
UIPPOLTTE.
Bonnez-moi donc la main Jusqu'au temple; en marchant je pourrai vous rapprendre.
LÉANDRE à Mascarille.
Va , va-t'en me servir sans davantage attendre.
SCÈNE XI.
MASCARILLE.
Oui , je vais te servir d'un plat de ma façon^ Fut-il jamais au monde un plus heureux garçon ? Oh ! que dans un moment Lélie aura de joie I Sa maîtresse en nos mains tomber par cette voie \ Recevoir tout son bien d'où Ton attend le mal ! Et devenir heureux par la main d'un rival I Après ce rare exploit , je veux que l'on s'apprête A me peindre en héros , un laurier sur la tête , Et qu'au bas du portrait on mette en lettres d'or : Vivat Mascarilltu, fourbum imperator !
SCÈNE XII.
TRDFALDIN, MASCARILLE. MASCARILLE.
Holà !
TRUFALDIN.
Que voulez-vous ?
MASCARILLE.
Cette bague coimne Vous dira le sujet qui cause ma venue.
kCVE 11 , SCÊNb Xtll. M
m
TRUFALIMM.
Oqî , jereconnftisbieii la bague queToilÀ. Je vais qwerir l'esclaye ; aiTfttez un peu là
S€ÈNE XÏII.
TRUFÀLDIN, UN COUBAIER, MASCAAlLLfi.
LE COURRIER à Trufaldio. Seigneur, obligez^noi de m'enaeigner un homme...
TRUFALMfU
Elqni?
LE COURRIER.
Se crois que c'est Trufaldin qu'il se nomme.
TRUFALDIN.
et que lui voulez-vous ? Vous le voyez ici.
LE COURRIER.
Lui lendre seulement la lettre que voici. .
TRUFALEUf Ut
« Le ciel , dont la bonté prend souci de ma vie , « Vient de me faire ouïr, par un bruit assez doux , « Que ma fille , à quatve ans par des voleurs ravie , « Sous le nom de Gaie est esclave chez vous.
« Si vous sûtes jamais ce que c'est qu'être père , « Et vous trouvez sensible aux tendresses du sang , « Conserves-moi chez vous cette fllle si chère , « Comme si de la vdtre elle tenait le rang.
« Pour l'aller retirer Je pars d'ici moi-même, « Et vous vais de vos soins récompenser si bien , «Que par votre bonheur, que je veux rendre extrême, « Vous bénirez le jour où vous causez le mien. « De Madrid.
« DON PEDRO DE GUSM4N, «. V ARQU^f DK MONTALCAKE. >• l XL COOllD^e.)
Qnoiqu'à teur nation bien peu de foi soit due , Ils me l'avaient bien dit , ceux qui me l'ont vendue , Que je verrais duis peu quelqu'un la retirer. Et que je n'aurais pas sujet d'en murmurer ; Et cependant j'allais , par mon impatience , Perdre aujourd'hui les fruits d'une haute espérance.
(Au courrier.)
fin seul moment plus tard, tous vos pas étaient vaina ,
34 L'ETOURDI»
J'allais mettre à rinstant œtte fiUe en ses maiDs. Mais suffit ; j'en aurai tout le soin qo*<m détûre.
(Le courrier êvrCI
(A MaseariUe.)
Vous-même vous voyez ce que je viens de lire. Vous direz à celui qui vous a fait venir Que )e ne Id saurais ma parole tenir ; Qu'il Tiemie retirer son argent.
■ASCABILLE.
Mais l'outrage Que vous lui faites...
TRUFALDIN.
Ta , sans causer davantage.
MASCAEILLE setli.
Ah ! le fâcheux paquet que nous venons d'avoir ! Le sort a bien donné la baie (1) à mon espoir ; Et bien à la malheure (2> est-il venu d'Espagne, Ce courrier que la/oudre ou la grêle accompagne. Jamais , certes , jamais plus beau commencement rOut en si peu de temps plus triste événement.
SCÈNE XIV.
L£LI£ riaot, MASCARILLE. MASCABILLE.
<}uel beau transport de joie à présent vous inspire?
LÉLIE.
Laiâem'en rire encore avant que te le dire.
MASCARILLE.
Çà , rions donc bien fort , nous en avons sujet.
LÉLIE.
Ah ! je ne serai plus de tes plaintes l'objet. Tu ne me diras plus , toi qui toujours me cries , Que je gâte en brouillon toutes tes fourberies : J'ai bien joué moi-même un tour des plus adroits. Il est vrai « je suis prompt , et m^emporte parfois : Mais pourtant , quand je veux , j'ai l'imaginative Aussi bonne, en effet , que personne qui vive;
(0 Ce mot baie vient de l'italien baia. Les Italiens disent comme nous 4ar la bata,pow se meqmer. (Msitage.)
(9) JUale, de malus, mauvais. Ce root est très-ancien dans notre lan- f ne. On disait dans le douzième siècle , male-fcmme , maie-lol , pour mauvaise femme, mauvaise loi.
ACTE U, SCÈNE XIV. 35
Fi toi-même avoueras qneœ que j'ai fait, part D'une pointe d'esprit 06 peu de monde a part.
MASCAIULLE.
Saclions donc ce qu'a fait cette imaginative.
TauUÂ , l'eaprit éma d'une frayeur bien vive D'avoir vu TniMdln avecqne mon rival , Je songeais à trouver un remède à ce mal , Lorsque , me ramassant tout entier en moi-mémo , Tai conçu , digéré , produit uw stratagème Devant qui tous les tiens, dont tu fkis tant de cas , Doivent , sans contredit, mettre pavillon ba<5.
HASCAAUXE.
Mais qu'est-ce? — -
LÉLIE.
Ah I s'il te platt , donne-toi patience. J'ai donc feint une lettre avecqne diligence, Comme d'nn grand seigneur écrite à Trufaldin , Qui mande qu'ayant su , par un heureux destin , Qu'une esclave qu'il tient sous le nom de Célie Est sa fille , autrefois par des voleurs ravie, U veut la venir prendre , et le conjure au moins De la garder toujours , de lui rendre des soins ; Qu'à ce sujet il part d'Espagne , et doit pour elle Par de si grands présents reconnaître son zèle , Qu*il n'aura point regret de causer son bonheur.
MASCARILLG.
^ort bien.
LÉLIE.
Écoute donc, voici bien le meilleur. lA lettre que je dis a donc été remise ; Mais sais-tu bien comment ? En saison si bien prise, Que le porteur m'a dit que, sans ce trait falot , Un homme l'emmenait , qui s'est trouvé fort sot.
MASCARIIXE.
Vous avez fait ce coup sans vous donner au diable .>
LÈLim.
Oui. D'un tour si subtil m'aurais-tu cru capable? Loue au moins mon adresse , et la dextérité Dont je romps d'un rival le dessein concerté.
■ASCARILLE.
A ?ous pouvoir louer selon votre mérite, Jenyinque d'éloquence, et ma force est petite. Oui , pour bien étaler cet effort relevé,
3^ L'ETOURDI,
Ce bel exploit de guerre à née yeux acberé. Ce grand et rare effet d'une œiagiBatiTe Qui ne cède en Tigueur à personne qui Tive , Ma langue est impuissante» et jevoudra» avoir CeUes de tous les gens du plus exquis aaToir, Pour TOUS dire en bewix yen , ou bioBen ckicte prose , Que TOUS serez toujours, quoi que Ton se propoee » Tout ce que tous avez été durant vos jours ; C'est-à-dire, on esprit chaussé tout à rebours. Une raison malade et toujours en débauche , Un envers du iwn sens, un jugement à gauche , Un bromllon , ime bête » un brusque , un étourdi , Que sais-je? un... cent fois plus encor que Je ne di. C'est fiiire en abrégé votre panégyrique.
LÉUE.
Apprends-moi le siqet qui contre moi te pique; Ai-je faitqudque chose? £daircis-moi ee pomt.
HASCARILLE.
Non , vous n'avez rien fait; mais ne me suivez point.
LéUE.
Je te suivrai partout pour savoir ce mystère.
lUSCÀIULLE.
Oui ? Sus donc , préparez vos jambes à bien faire , Car je vais vous fournir de quoi les exercer.
LÉUE seul. il m'échappe. O maUieur qui ne se peut forcer t Aux discours qu'il m'a faits que saurais-je comprendre , Et quel mauvais office aurais-je pu me rendre?
ACTE IIL
SCÈNE PREMIÈRE.
MASCARILLE.
Taisezrvotts , ma bonté , cessez voire entretien ; Vous êtes une sotte , et je n'en ferai rien. Oui, vous avez raison, mon courroux, je l'avoue; Relier tant de fois ce qu'un brouillon dénoue , C'est trop de patience ; et je dois en sortir,
XCTE III, SCfcKfi II. S"^
4près de ai beaux coups qD*il a au divertir.
Mais aussi raisonnoos un peu sans violence.
Si je suis maintenant ma juste impatience ,
On dira que je cède à la difficulté;
Que je me trouve à bout de ma subtilité :
Et que deviendra lors cette publique estime
Qui te vante partout pour un fourbe sublime ,
Et que tu fea acquise en tant d'occasions »
A ne fètre jamais vu court d'inventions ?
L'honneur, 6 Mascarille, est une belle chose!
A tes nobles travaux ne faia aucune pause ;
Et quoi qu'on maître ait fait pour te faire enrager,
achève pour ta gloire # et non pour l'obliger.
Mais quoi ! Que feras4u , que de l'eau toute claire?
Traversé sans repos par ce démon contraire ,
Tu vois qu'à chaque instant il te fidt déchanter, Et que c'est battre l'eau de prétendre arrêter Ce tmrreut effréné , qui de tes artifices Renverse en un moment les plus beaux édifices. Bh bien t pour toute grâce , encore un coup du moins. An hasard du succès sacrifions des soins ; ^ s'il poursuit encore à rompre notre chance , J'y consens , 6tons4ui toute notre assistance. C^endant notre affaire encor n'irait pas mal Si par là nous pouvions perdre notre rival , Et que Léandre enfin , lassé de sa poursuite , Nous laissât jour entier pour ceque je médite. Oui , je roule en ma tète un trait ingénieax , l>ont je promettrais bien un succès glorieux , Si je puis n'avoir plus cet obstacle à combattre. Bon , voyons si son feu se rend opiniâtre.
SCÈNE II.
LEANDRE, MASCARILLK. MASCARILLE.
Monsieur, j'ai perdu temps, votre homme se dM\i.
UUlIDRB.
De la chose lui-même il m'a fait un récit ; Mais c'est bien plus : j'ai su qae tout ce beau mystère D'an rapt d'Égyptiens, d'an grand seigneur pour père , Qoi doit partir d'Espagne , et venir en ces lieux , N'est qu'un pur stratagème , un trait facétieux , tfouisii. T. I. 4
38 L'ETOURDI,
Une litttoire à plaisir, un coote dont LtfHt A voulu détourner notre achat de GéHa.
MASCAftHiUL
Voye^ mi peu la fourbe!
Et pourtant Tmfaldin Est fti bien imprimé de ce conte badin. Mord si bien à Tappàt de cette faible ruae Qu'il ne veut point souffrir que l'on le désabuaa.
MABCARILLB.
C'est pourquoi désormais il la gardera bien ^ Et je ne vois pas lieu d'y prétendre plus rien.
Si d'abord à mes yeux elle pamt aimable , Je Tiens de la trouver, tout à fait adorable; Et je suis en sospens si , ponr me l'acqqérir. Aux extrêmes moyens je ne dois point eoqrir. Par le don de ma foi rompre sa destinée ^ Et changer ses tiens en ceux de rhyniénéB.
MASCARIUJI.
Vous pourriez l'épouser?
LéàlOIM.
Je ne sais ; mais enlin , si quelque obscarité se trouYc en son destin , Sa grâce et sa vertu sont de douces amorces Qui , pour tirer les cœurs , ont d'incroyables r4>rce$.
■ASCAaiLLB.
Sa vertu , dites-yous ?
LIÊANMB.
Quoi? que murmures-tu ? Achève , expUque-toi sur ce mot de vertu.
IIA8(URI|XE.
Monsieur, votre visage en un moment s'altère , Kt je ferai bien mieux* peut-être de me tairfB.
LÉANDRE.
?fon , non , parle.
MASCAHILLE.
Eli bien donc , très^iiaritabiemeint, Je veux vous retirer de votre ayeuglement. Cette fiKe...'
LÉANDRR.
Poursuis
MASCARILLE.
N'est rien moins qu'inhumains ;
ACT£ III, SCÉNK II. 3<j
Dans le particulier elle oblige sans peine »
Et son ccenr, croyex-moi , n'est point roche , après tout , -
À quiconque la sait prendre par le bon bout ;
Elle fait la sucrée , et Teut passer pour prude ;
Mais je puis en parler aTeoque certitude.
Vous savex que je suis quelque peu d'un métier
K me devoir connaître en un pareil gibier.
' LiAlIDRE.
Céiie...
MASCARILLE.
Oui, sa pudeur n'est que fïranche grimace, Qu'une ombre de yertn qui garde mal sa place , Et qui s'évanouit , comme l'on peut savoir, AUX rayons du soleil qu'une bourse fait voir (i;.
LÉAlfDtlE.
Las ! que dis-tu ? Croirai-je un discours de \\ sorte ?
■ASCARILLB.
Monsieur, les volontés sont libres : que m'importe? Non , ne me croyez pas , suivez votre dessein , Prenez cette matoise, et lui donnez la main ; Toute la ville en corps reconnaîtra ce zèle j Et vous épouserez le bien public en elle.
LÉANDRK.
Quelle surprise étrange !
MASGAKILLE à part.
Il a pris l'hameçon. Courage! s'il s'y peut enferrer tout de bon , Nous nous Atons du pied une f&cheuse épine.
LÉAMDRE.
Oui, d'un coup étonnant ce discours m'assassine.
■ASCARILtE.
Quoi ! vous pourriez. . .
LÉARDRE.
Va-t'en jusqu'à la poste, et voi Je ne sais quel paquet qui doit venir pour moi.
( aeal , après avoir rêvé. ) Qui ne s'y fût trompé t Jamais l'air d'un visage , Si ce qu'il dit est vrai , n'imposa davantage.
(t) Ce ven fait allmloD au soleil représenté aur In louis <ror du tcinpa de Louis XTV. Charles IX est le premier de nos rott qui ait fou frapper des nonnales d'or atec VtîÙgit du soleil; Louis XIV est le der- ■1er.
SCÈNE m.
ULIE , LËAN DRE.
LÉUB.
Dti clitgrin qui tous tient quel peut être l'objet?
LÉANDRE.
Moi?
LÉLIE.
Vous-même.
LÉANDRE.
Pourtant je D'en ai point sujet.
LÉLIE.
le Tois bien ce que c'est, Celle en est la cause.
LÉÀNDRE.
Mon esprit ne court pas après si peu de chose.
LÉLlE.
Pour elle yous a?iez pourtant de grands desseins : Mais il faut dire ainsi , lorsqu'ils se trouvent vains.
LÉANDRE.
si j'étais assez sot pour chérir ses caresses , Je me moquerais Ûen de toutes yos finesses.
LÉLIE. I
Quelles finesses donc?
LÉANDRE.
Mon Dieu ! nous savons tout.
LÉUE.
Quoi?
LÉANDRE.
Votre procédé de l'un à l'autre bout.
LÉLIB.
• I
c'est de l'hébreu pour moi , je n'y puis rien comprendre.
LÉAMDRE.
Feignez , si vous voulez , de ne me pas entendre ; Mais , croyez-moi , cessez de craindre pour un bien Où je serais i&ché de vous disputer rien. J'aime fort la beauté qui n'est point profanée , Et ne veux point brûler pour une al»ndonnée.
LÉUE.
Tout beau , tout beau , Léandre I
LÉANDRE.
Ah! que vous êtes boni Allez , vous dt»-je encor , servez-la sans soupçon ;
ACTE m, SCÈNE IV. 41
Tous pooiret tous Dominer homme à bonnes fortunée Il cet ^rrai , sa beauté n'est pas des plus communes ; Mais en revanche aussi le reste est fort commun.
LÉLIE.
Léandre , arrêtons là ce discours importun. Contre moi tant d'efforts qu'il tous plaira pour elle ; Mais , surtout , retenez cette atteinte mortelle ; Sachez que je m'impote à trop de lâcheté D'entendre mal parler de ma divinité ; Et que ]*aarai toujours bien moins de répugnance A souflHr votre amour, qu'on discours qui l'offense .
LÉARDRB.
Ce que j'avance ici me vient de bonne part.
LéUB.
Quiconque vous l'a dit est un i&che, un pendard. On ne peut imposer de tache à cette fille. Je eonnais bien son cœur.
LÉANDRE.
Mais enfin Mascarille D'un semblable procès est juge compétent : C'est lui qui la condamne.
LÈLIE.
Oui!
LÉiNDRK.
Lui-même.
LÉUB.
Il prétend D^nne flOe d'honneur insolemment médire , Et que peut-être encor je n'en ferai que rire ! Gage qu'A se dédit.
LÉANDRE.
Et moi , gage que non.
LÉLIB.
ParUeal je le ferais mourir sous le bâton , S'il m'avait soutenu des faussetés pareilles.
LÉANDRE.
Moi , je lui couperais sur-le-champ les oreilles , S'il n'était pas garant de tout ce qu'il m'a dit.
SCÈNE IV.
LËLIE , LËANDRE , MASCARILLE.
LÉLIE.
Ah I bon p bon , le voilà. Venez çà , chien maudit.
4.
47 L'ÉTOURDI,
siASCAIlILLB.
Quoi?
LÉLIR.
Langue de serpeiit j fef tile en impostures , Vous oseï sur Célie attaclier tos morsures , Et lui calomnier la plus rare vertu Qui puisse faire ëdat sons un sort abattu ?
HASCARIIXB bu à L^ie.
Doucement, ce discours est de mon indostrie.
lÉUE,
Non , non , point de din d'œil et point de raillerie ; Je suis aveugle à tout, sourd à quoi que ce soit ; Fùirce mon propre frère , il me la payeroit Et sur ce que j'adore oser porter le blAme / C'est me faire une plaie au plus tendre de l'Ame. Tous ces signes sont vains. Quels discours as-ta faits ?
MASCÀRILLB.
^lon Dieu ! ne cherchons point querelle, ou je m*en vais.
LÉLIE.
Tu n'échapperas pas.
MASCARILLB.
4hi!
LÉLIE.
Parle donc , confesse. ^ MASCARILLB bas à Léiie.
Laissez-moi, je vous dis que c'est un tour d'adress<f .
LÉLIE.
Dépêche , qu'afr-tu dit? Tide entre nous ce point.
MASCARILLB bas à Léile.
j'ai dit ce que j'ai dit : ne vous emportez point.
LÉLIE mettant l'épée à la main. Ah ! je vous ferai bien parler d'une autre sorte !
LÉAia>RE Varrètant.
Halte un peu , retenez l'ardeur cjui vous emporte.
MASCARILLÇ à part.
Fut-il jamais au monde Un esprit moins sensé ?
LÉLIE.
Laissez-moi contenter mon courage offensé.
LÉAIKDRE.
c'est trop que de vouloir le battre en ma présence.
LÉLIE.
Quoi ! châtier mes gens n'est pas en ma puissance ?
LÉANDRK.
Comment , vos gens ?
ACTE m, scÈnK IV. 4:)
MAMAMLLE à part.
Encore ! Il ▼» tout découvrir.
UÉUB.
Qoand j'aurais volonté de le battre à mourir , Eh bien ! c'est mon valet.
LéAHDRE.
C'est maintenant le nôtre.
LÉUB.
Le trait est admirable \ £t comment donc le vôtre ?
LÉANDRE.
Sans doute...
■AIGARIUJB bas à I^élie.
SottcemcBt.
Hem I que veux-tu conter ?
■A8GAMUE à part.
kh l le double bourreau , qui me va tout gâter ,
Bt qui ne comprend rien , quelque signe qu'on donne !
Vous rêvez bien , Léandre , et me la baillez bonne. Il n'est pas mon valet t
Uandee. pour quelqtie mal commis, Hors de votre service il n'a pas été mis ?
uitiB. ié né sais ce que c*eiit.
^ LK4HORE.
Et 9 plein de vioiéiice ; Vous ii'avez pas chargé son dos avec outrance ^
Point du tout. Moi , Favoir chassé, roué de coups ? Vous vous moquez de moi , Léandre^ on lia de vous.
yi^y.Af|if.i.K à part.
Pousse , pousse , bourreau ; tu fiûs bioi tes affaires.
LÉANnRE à MascariUe. •
I)onc les coups de bâton ne sont qu'imaginaires!
MASCARILLB.
Il ne sait ce qu^il dit ; sa mémoire. . .
LÉANDRE.
Non , non , Tous ces signes pour toi ne disent rien de bon. Oui , d'un tour délicat mon esprit te soupçonne. lIAis pour l'invention, va y Je te le pardonne. Cfesf bten assez pour moi qu'il m'a désabusé ,
«4 L*£TOU&DI,
De voir par quels motifs tu m'avais Imposé, tt que m'étaot commis à ton zèle hypocrite , A si bon compte encor Je m'en sois trouvé quitte : Ceci doit s'af^teler un avU au lecteur. Adieu , Laie y adieu , très-liumble senriteor.
SCÈNE V.
LÉLIE, ICASCARILLE.
■ASCARILLE.
Courage , mon garçon , tout heur nous accompafpie : Mettons flamberge au vent et bravoure en campagne, Faisons Y Olibrius, Vocdseur eTinnocentsii).
LÈLÏE.
Il t'avait accusé de discours niédisuits contre...
MASCARILLE.
Et vous ne pouviez souffrir mon artifice , Lui laisser son erreur , qui vous rendait service , Et par qui son amour s'en était presque allé? Non , il a l'esprit franc , et point dissimulé. Enfin chez son rivai je m'ancre avec adresse , Cette fourbe en mes mains va mettre sa maltresse , 11 me la fait manquer avec de faux rapports. ie veux de son rival alentir les transports, non brave incontinent vient qui le désabuse ; J'ai beau lui faire signe, et montrer que c'est ruse ; Point d'affaire : il poursuit sa pointe jusqu'au bout, Et n'est point satisfait qu'il n'ait découvert tout. Grand et sublime effort d'une Imaginative Qui ne le cède point à personne qui vive ! C'est une rare pièce, et digne, sur ma foi , Qu'on en fasse présent au cabinet d'un roi.
LÉLIE. ^
le ne m'étonne pas si je romps tes attentes ;
(i) Suivant une vieille légende, Olibrius, gouvemeor des GAoles, ne pouvant toucher le coeur de sainte Reine, la fit mourir. Le martyre de cette sainte fbt plus tard le sqjet d'un grand nombre de mpstéres qrA plaisaient beaucoup au peuple. Olibrius y était représenté comme un fanfaron, un glorieux, on occiseur ^iroiocenU; de là l'expression pro- verbiale : faire V Olibrius, pour ftUre le fou» brave, persécuter ceux gui sont sans défense, etc. ( voyes le IHetionnaire des proverbes, par la M....)
ACTE in, 9CÈSE V. 4b
A moÎDS (fètre infiarmé des choses que tu tentes. J'en ferais enoor cent de la sorte.
HASCAIULLE.
Tant pis.
LÉUE.
Ao iDoinB, pour t'emporter à de justes dépits, Pais-iiioi dans tes desseins entrer de quelque chose ; Mais que de leurs ressorts la porte me soit close. C'est ee qui fait toujours que je suis pris «ans vert ( 1 ) .
HASCAJUIXE.
Je crois que tous seriez un maître d'arme expert ; Vous savez à oienreiUe, en toutes aYentures, Prendre les conlre-temps et rompre les mesures.
LÉUE.
Puisque la chose est faite, il n'y faut plus penser. Mon rirai, en tout cas , ne peut me traTorser ; Et pourvu que tes soins en qui je me repose...
MASCARUitE.
Laissons là ce discours, et parlons d'autre chose. le ne m'apaise pas , non , si facilement ; Je suis trop en colère. Il faut premièrement Me rendre un bon office, et nous verrons ensuite 8i je dois de vos feux reprendre la conduite.
LÉL1E.
S'il ne tient qu'à cela, je n'y résiste pas.
As-tu besoin , dis-moi , de mon sang , de mon bras ?
MASCABILtE.
De quelle vision sa cervelle est fhippée! Vous êtes de l'humeur de ces amis d'épée (2) Que l'on trouve toujours plus prompts à décliner Qu'à tirer un teston, s'il faUait le donner (3).
(OCetteeiprearion tire fon origine d'un Jeu fort en usage mus le règne de Lonit XIV, mais beaaeoop plus ancien. An premier Jour de mai , cha- em deralt ae trouTer muni d'une branche de rerdure. On se Tlsltait , on tâchait de ae surprendre en faote; ceamots :/e voi»preiu(« tam vert, retcntiaaalent de tons cOtés, et la moindre négligence était punie d'une amende dont le produit était destiné à une fête champêtre où l'on célé- brait le prlntempa.
(tj Par amii d'épée, Molière n'entend pas compagnons d'armet, mate seulement compaçtunu de duel.
(k) Le tetton Talait dix sons tournois , le marc d'argent étant à douse livrée dix aous ; il était appelé tetton à cause de la tète de Unis XII qui y était représentée. Cette monnaie , tebrlqnée en lais, snbsiata Jus* qu'à Henri III. (B.)
«6 L*£T0URDI,
lÈLUt.
Que pulHe donc pour toi?
C'est que de votre père Il fout abeolument apaiser la oolère.
LÂLIB.
Nous avons foit la paix.
MAsr.4Bir.iJt.
Oui, mais non pas pour nous. Je rai fait, ce matin, mort pour Tamour de vous ; La vision le choque, et de pareilles feintes Aux vieillards comme lui sont de dures atteintes , Qui , sur l'état prochain de leur condition , Leur font foire à regret triste réflexion. Le bon honmie, tout vieux, chérit fort la lumière, Et ne veut point de jeu dessus cette matière ; Il craint le pronostic ; et, contre moi foché , On m'a dit qu'en justice il m'avait recherché. J'ai peur, si le lo^ du roi fait ma demeure , De m'y trouver si bien dès le premier quart d'heure, Que j'aye peine aussi d'en sortir par après. Crontre moi dès longtemps Ton a force décrets ; Car enfin la vertu n'est jamais sans envie , Et dans ce maudit siècle est toujours poursuivie. Allez donc le fléchir.
LÉUB.
Oui, nous le fléchirons ; Mais aussi tu promets...
MASGAJULLE.
Ahl mon Dieul nous verrons.
(Lélie sorl.)
Ma foi, prenons haleine après tant de fatigues. Cessons pour quelque temps le cours de nos intrigues , Et de nous tourmenter de même qu'un lutin. Léandre, pour nous nuire , est hors de garde enfin , Et Celle arrêtée avecque l'artifice...
SCÈNE VI.
ERGASTE, MASCARILLE. BRGASTB.
.le te cherchais partout pour fe rendre un service, Pour te donner avis d'un secret important.
ACTE III, SCÈfTE VII. ^7
HASC4ilILLE.
Quoi donc?
ERGASTE.
N*avons-nous point ici quelque écoutaot?
MASCARILLE.
Non.
ERGASTE.
Nous sommes amis autant qu'on le peut Atre. Je sais bien tes desseins et Tamour de ton maître ; Songez à tous tantôt. Léandre fait parti Pour enlever Célie ; et Je suis averti Qu'il a mis ordre à tout, et qu'il se persuade D'entrer chez Trnfaldin par une mascarade, Ajfant su qu'en ce temps» assez souvent, le soir. Des fienmies du quartier en masque l'allaient voir.
HASGARILLE.
Oui.' Suffit ; il n'est pas au comble de sa joie ; Je pourrai bien tantôt lui souffler cette proie ; El contre cet assaut je sais un coup fourré Par qui je veux qu'il soit de lui-même enferre. Il ne sait pas les dons dont mon âme est pourvue. Adieu , nous boirons pinte à la première vue.
SCÈNE VU.
MASCARILLE.
Il faut, il faut tirer à nous ce que d'heureux
Pourrait avoir en soi ce projet amoureux ,
Et , par une surprise adroite et non commune ,
Sans courir le danger, en tenter la fortune.
Si je vais me masquer pour devancer ses pas ,
Léandre assurément ne nous bravera pas,
Et là, premier que lui, si nous faisons la prise,
Il aura fait pour nous les frais de l'entreprise ;
Puisque, par son dessein déjà presque éventé.
Le soupçon tombera toujours de son côté.
Et que nous, à couvert de toutes ses poursuites,
De ce coup hasardeux ne craindrons point de suites.
Cest ne se point conmiettre à faire de l'éclat ,
Et tirer les marrons de la patte du chat.
Allons donc nous masquer avec quelques bons frères ;
Pour prévenir nos gens, il ne faut tarder guères.
le sais où gît le lièvre , et me puis , saits travail ,
48 L'STOURDI,
Fournir en on moment d'hommes et d'attinfl. Croyes que je mets bien mon adresse en usage : Si j'ai reçu du ciel les fourbes en partage , Je ne sute point au rang de ces esprits mal nés Qui cachent les talents que Dieu leur a donnés.
SCÈNE VIII.
LÊLIE, ERGâSTE. LÉUE.
Il prétend Tenlever avec sa mascarade?
ERGASTE.
Il n*est rien plus certain. Quelqu'un de sa brigade M'ayant de ce dessein instruit, sans m'arrèter , À M ascarille lors j'ai couru tout conter , Qui s'en Ta, m'a-t-il dit, rompre cette partie Par une invention dessus le champ bfttie ; Et, comme je tous ai rencontré par hasard , J'ai cru que je devais de tout vous faire part
LÉUE.
Tu m'obliges par trop avec cette nouvelle : Va , je reconnaîtrai ce service fidèle.
SCÈNE IX.
LËLIE.
Mon drôle assurément leur jouera quelque trait ; Mais je veux de ma part seconder son projet. Il ne sera pas dit qu'en un fait qui me touche Je ne me sois non plus remué qu'une souche. Voici l'heure , ils seront surpris à mon aspect. Foin ! Que n'ai-je avec moi pris mon porte-respect? Mais vienne qui voudra contre notre personne. J'ai deux bons pistolets, et mon épée est bonne. Holà! quelqu'un , un mot.
SCÈNE X.
TRUFALDIN à sa fenêtre, LÉLTE. TRUFALDIN.
Qu'est-^e? qui me vient voir?
ACTE 111, 8CÊNË XL 4^
LÉLIE.
Fermesn aoi^ieusenient votre porte ce toir.
nUFALDIN.
Poqrqooi ?
LÉUE.
Certaines gens font une mascarade Pour Yous yenir donner nne f&cheose aubade ; lU Yenleut enlever votre Célie.
TRUFALDIIf.
O dieux !
LÉUE.
Et sans dottte bientôt ils viennent en ces lieux. Demeurez ; vous pourrez voir tout de la fenêtre. Eh bien ! qu'à vais-je dit ? Les voyez-vous paraître ? Chut, je veux à vos yeux leur en faire l'afftont. lïOQS allons voir beau jeu , si la corde ne rompt.
SCÈNE XL
LÉLIE, TRUFALDIN, MASGARILLE et m suite,
masqués.
TRUFALDIN.
Ohl les plaisants robins (1), qui pensent me surprendre!
liÉUE.
Masque», oà courez-vous? le pourrait-on apprendre? Trafaldin, ouvrez-leur pour jouer un momon (2).
(à MascariUe, déguisé en femme.)
Bon Dieu, qu'efle cSt jolie, et qu'eUe a l'air mignon 1
Eh quoi! vous murmurez? Mais, sans vous foire outrage ,
Peut-on lever le masque, et voir votre visage?
TRUFALDIN.
Allez , fourbes méchants , retirez-vous d'ici , CanaiÛe ; et vous, seigneur, bonsoir et grand merci.
(I) Le mot robin signifiait autrefois un bottf/on, un tôt, un /aee^ tieux. (B.) - On a donné le nom de robin au mouton , à cause de sa robe de laine. Or le mouton étant, au dire d'Artototc, cité par Rabélals le plus sot des anhnaux, le nom de robin est devenu par «tension celai des hommes sans esprit ( le Duch.) ^a- / m
W Komon. somme d'argent que des masques Jouaient «ix dés. B -On donnait aussi ce nom aux personnes masquées qui s mtrodulsalenC dau les malsons pour Jouer ou pour danser. Suivant Ménage, ce mot fient de Momut, dieu de la folle. ^
t'ÊTOURDI,
SCÈNE XII.
LELIE, MASCARILLE
LéLl£ , après avoir diémasqué MaacarUlr. Mascarille, est-ce toi?
HASCABILLE.
Neimi'dà » c'est quelque autre.
Hélas ! quelle surprise ! et quel sort est le nôtre!
L'aurals-je deviné, n'étant point averti
Des secrètes raisons qui t'avaiient travesti?
Malheureux que je suis , d*avoir dessous ce masque
Été, sans y penser, te faire cette frasque!
U me prendrait envie, «n ce juste courroux ,
De me lettre moirméme , et me donner cent coups.
MÀSCARILLE.
Adieu , sublime esprit , rare Imaginative.
LÉUE.
Las! si de ton secours ta colère me prive, A quel saint me vooerai-je?
HASCABILLE.
An grand diable d'enfer !
LÉLIE.
Ah! si ton cœur pour moi n'est de bronze ou de fer, Qu'encore un coup du moins mon imprudence ait grftce! S'il faut pour l'obtenir que tes genoux j'embrasse, Vols-moi... '
HASCAROLE.
Tarare (1) ! allons , camarades , allons ! J'entends venir des gens qui sont sur nos talon^.
SCÈNE XIU.
LÊANDRE et sa paite, masqués; TRUFALDIN à sa fenêtre.
LÉAMDRE.
Sans bruit ; ne faisons rien que de la bonne sorte.
(I) Tarare t expression barlesqae imsKliitfjB, suhrant RlfdMlet, pour Imiter le son de la trompette, et dont on se sert pour expnaer qo'eQ
ne Tent rien entendre , qn*on n'ajonte aucnne foi h la cbMt qn'iNi nons
dit.
ACTE IT, SCfiNE I. 61
TftUFALDIN.
Quoi! masques toute nuit assiégeront ma (Kuie! Messieurs , ne gagnez point de rhumes à plaisir ; Tout cerveau qui le fait est certes de loisir. Il est un peu trop tard pour enlever Célie; Dispensez-l'en ce soir , elle tous en supplie ; La beUe est dans le lit , et ne peut tous parler ; J'en suis fâché pour yous. Mais pour tous régaler Dq souci qui pour elle ici vous inquiète , Elle TOUS fait présent de cette cassolette.
léaubre. Fi! cela sent mauvais, et je suis tout gftté. Nous sommes découverts, tirons de ce c6té.
ACTE IV.
SCÈNE PREMIÈRE.
LÊLIE déguisé ea Armèaien , MASCJIRILLE. MASGARniiB.
Vous Voilà fagoté d'une plaisante sorte.
LÉLIB.
Tu ranimes par là mon espérance morte.
MASCARUXB.
Toujours de ma colère on me voit revenir; J'ai beau jurer, pester, je ne m*en puis tenir.
LÉLIE.
^ussi crois', si jamais je suis dans la puissance ,
Que tu seras content de ma reconnaissance ,
Et que quand je n'aurais qu'un seul morceau de pain . .
MASCARILLE.
Bastel songez à vous dans ce nouveau dessein. Au moins , si l'on vous Toit commettre une sottise , Vous n'imputerez plus l'erreur à la surprise ; Votre rôle en ce jeu par cœur doit être su.
LÉLIE«
Mais comment Trofaldln chez lui t'a-t-H reçu ?
MASCARILLE.
D'un zèle simulé j'ai bridé le bon sire (1) ; Atec empressement je suis venu lui dire ,
(1) Oti du proTerblslement , brtder Voiion. brider labectuts, pour
0i L'ËTOUEDl,
S*il ne longeait à lui , que l'on le surpreodroit ; Que l'on couchait en Joue , et de plus d'un endroft , Celle dont il a tu qu'une lettre en avance ATait fli faussement divulgué la naissance ; Qu'on avait bien voulu m'y mêler quelque peu ; Mais que j'avais tiré mon épin^e du jeu , Et que , touché d'ardeur pour ce qui le regarde , Je venais l'avertir de se donner de garde. De là , moralisant , j'ai &it de grands discours Sur les fourbes qu'on voit ici-bas tous les jours ; Que pour moi , las du monde et de sa vie infftme , Je voulais travailler au salut de mon âme , k m'éloigner du trouble, et pouvoir longuement Près de quelque honnête homme être paisiblement , Que y s'il le trouvait bon , je n'aurais d'autre envie Que de passer chez lui le reste de roa vie ; Et que même à tel point il m'avait su ravir , Que y sans lui demander gages pour le servir , Je mettrais en ses mains , que je tenais certaines , Quelque bien de mon père , et le fruit de mes peines Dont , avenant que Dieu de ce monde m'ôtât , J'entendais tout de bon que loi seul héritÂt. C'était le vrai moyeu d'acquérir sa tendresse. Et comme , pour résoudre avec votre maîtresse Des biais qu'on doit prendre à terminer vos vœux , Je voulais en secret vous aboucher tous deux , Lui-même a su m'ouvrir une voie assez belle, De pouvoir hautement vous loger avec elle, Tenant m'entretenir d*un fils privé do jour, Dont cette nuit en songe il a vu le retour. A ce propos , voici Thistoire qu'il m'a dite , Et sur quoi j'ai tantôt notre tombe construite.
LÉLIE.
C'est assez, je sais tout : tu me l'as dit deux fois.
HASCARILLB.
Oui , oui ; mais quand j'aurais passé jusques à trois , Peut-être encor qu'avec toute sa suffisance, Votre esprit manquera dans quelque circonstance.
LÉLIE.
Mais à tant diflérer je me fais de l'effort.
MASCARILLE.
Ah ! de peur de tomber , ne courons pas si fort !
froavwr guêtt»*un , le eonduin à ta çuitei Molière a fait paaier dans son Tcn tonte l'énie^e de ce proverbe.
ACTE IV, SCÈNE I. 3.1
Yoyez-Yous ? yous ayez la caboche un peu dure; ReDdez-YOUs affermi dessus cette aventure. Autrefois Tmfaldin de Naples est sorti , Et s'appelait alors Zanobio Ruberti ; Un parti qui causa quelque émeute dTîle , Dont il fut seulement soupçonné dans sa Tille (De fiiit il n'est pas homme à troubler un État), L'obligea d'en sortir une nuit sans éclat. Une fille fort jeune, et sa femme , laissées, A quelque temps de là se trouvant trépassées. Il en eut la nouvelle ; et , dans ce grand ennui , Voulant dans quelque ville emmener avec lui. Outre ses biens , l'espoir qui restait de sa race. Un sien fils, écolier, qui se nommait Horace, Il écrit à Bologne , où , pour mieux être instruit , Un certain maître Albert , jeune , Tavait conduit ; Mais , pour se joindre tous , le rendez-vous qu'il donne Durant deux ans entiers ne lui fit voir personne : Si bien que, les jugeant morts après ce temps-là , Il vint en cette ville, et prit le nom qu'il a , Sans que de cet Albert, ni de ce fils Horace , Douze ans aient découvert Jamais la moindre trace. Voilà l'histoire en gros , redite seulement Afin de vous servir ici de fondement. Maintenant vous serez un marchand d'Arménie , Qui les aurez vus sains l'un et l'autre en Turquie. Sij^ai, plutôt qu'aucun, nn tel moyen trouvé, Pour les ressusciter sur ce qu'il a rêvé, C'est qu'en fait d'aventure il est très-ordinaire De voir gens pris sur mer par quelque Turc corsaire, Puis être à leur famille à point nommé rendus , Après quinze ou vingt ans qu'on les a crus perdus. Pour moi , J'ai vu déjà cent contes de la sorte. Sans nous alambiquer, servons-nous-en ; qu'importe? Vous leur aurez ouï leur disgrâce conter , Et leur aurez fourni de quoi se racheter ; Mais que, parti plus tôt pour chose nécessaire, Horace vous chargea de voir ici son père, Dont il a su le sort , et chez qui vous devez Attendre quelques jours qu'ils y soient arrivés. Je vous ai fait tantôt des leçons étendues.
hÉUE.
Ces répétitious ne sont que superflues;
Dèt l'abord mon esprit a compris tout le fait.
6.
14 L'ÊTOUROr,
MASCAniLLB.
Je m'en Yais là-dedans donner le premier trait.
LÉLIE.
Écoute j ifaBcarille , un seul point me chagrine. S*il allait de son fils me demander la mine?
hàscàrille. Belle difficulté 1 Devez-vous pas savoir Qu'il était fort petit alors qu'il Ta pn voir? Et puis, outre cela , le temps et l'esclavage Pourraient-ils pas avoir changé tout son visage?
LÉLIE.
Il est vrai. Mais dis-moi , s'il connaît qu'il m'a vu » Que faire?
HASCARILLE.
De mémoire êtes- vous dépourvu ? Nous avons dit tantôt qu'outre que votre image N'avait dans son esprit pu faire qu'un passage , Pour ne vous avoir vu que durant un moment , Et le poil et Phabit déguisaient grandement.
LÉLIE.
Fort bien. Mais, à propos, cet endroit de Turquie. . .
HASCARILLE.
Tout, VOUS dis-je, est égal, Turquie ou Barbarie.
LÉLIE.
Mais le nom de la ville où j'aurai pu les voir.^
MASGARILLB.
Tunis. 11 me tiendra, je crois , jusques au soir.
La répétition, ditril, est inutile.
Et j'ai déjà nommé douze fois cette ville.
LÉLIE.
Va , va-t'en commencer, il ne me iaut plus rieir.
HASCARILLE.
AU moins soyez prudent, et vous conduisez bien ; Ne donnez point ici de Timaginative.
LÉUE.
Laisse-moi gouverner. Que ton &me est craintive !
HASCARILLE.
Horace dans Bologne écolier; Trufaldin , Zanobio Ruberti , dans Naples dtadin ; Le précq>t6ur Albert...
Ab 1 c'est me ftire boni e Que de me tant prêcher 1 Suis-je un sot , à ton conq^nf
ACTE IV, SCÈME III. 55
HAflCAAItUB.
NoD pa8 du tout ; mais bien quelque chose approchant.
SCÈNE II.
LÊLIE.
Quand il m'est mutile , il fait le chien coodiant :
Mais parce qu'il sent bien le secours qu'il me donne ,
sa familiarité Jusque-là s'abandonne.
Je Tais être de près éclairé des beaux yeux
Dont la force m'impose un joug si précieux ;
Je m'en Tais sans obstacle , avec des traits de flamme «
Peindre à cette beauté les tourments de mon âme ;
le saurai quel arrêt je dois... Mais les voici.
SCÈNE m.
TRUFALDIN, LËLIE, MASCARILLE TRUFALDUI.
Sois béni , Juste ciel » de mon sort adouci !
MASCARILLE.
C'est à TOUS de rêver et de faire des songes , t>uisqu'en vous il est faux que songes sont mensonges.
TRUFALDM à Lclie.
Quelle grâce , quels biens vous rendrai-je , seigneur , tous que Je dots nommer l'ange de mon bonheur .>
L^IE.
Ce sont soins superflus , et je vous en dispense.
TRUFALOni à Mascarille.
J'ai , je ne sais pas où , vu quelque ressemblance De cet Arménien.
HASCARU^LE.
c'est ce que Je disois; Mais on voit des rapports admirables parfois.
TRQFALDIB.
Vous avez vu ce flls où mou espoir se fonde ?
LÉLIE.
Oui , seigneur Trufaldin , le plus gaillard du monde
TRUFALDIN.
Il vous a dit sa vie , et parlé fort de moi '
L^.tIE.
Nos de dix miHe fois.
M L*£TOUaDI,
Quelque peu moins , je croi.
LÉUE.
Il vous a dépeint tel qne je tous vois paraître , Le visage, le port...
TROFALDIIf.
Cela pourrait-il être , Si , lorsqu'il m'a pu yoir, il n'ayait que sept ans , Et si son précepteur même, depuis ce temps, Aurait peine à pouvoir connaître mon visage?
MASCARILLB.
Le sang bien autrement conserve cette image ; Par des traits si profonds ce portrait est tracé , Que mon père...
TBDPALDIN.
Suffit. OÙ Tavez-Yous laissé P
LÉUE.
En Turquie , à Turin.
THUFALDIM.
Turin ? Mais cette ville Est , je pense , en Piémont.
HASCARILLE à part.
O cerveau malhabile!
(à Trufaldin.)
Vous ne l'entendez pas , il veut dire Tunis , Et c'est en efTet là qu'il laissa votre iils ; Mais les Arméniens ont tous une habitude, Certain vice de langue à nous autres fort rude : C'est que dans tous les mots ils changent nis en r'm , Et pour dire Tunis , ils prononcent Turin.
TROFALOIN.
II fallait , pour l'entendre , avoir cette lumière. Quel moyen vous dit-il de rencontrer son père .'
MASCARILLE. (à part.) ( à Trofaldio, après s'être ei>criinë. }
Voyez s'il répondra. Je repassais un peu Quelque leçon d'escrime; autrefois en ce jeu Il jo'était point d'adresse à mon adresse égale , Et j'ai battu le fer en mainte et mainte salle.
TRUPALniM i Mascarille. ce n'est pas maintenant ce que je veux savoir.
( k Lélîe. ) Quel autre nom dit-il que je devais avoir ?
ACT£ IV, SCÈNE III. «9
MABCARILLE.
Âh ! seigneur Zanobio Ruberti, quelle joie Est celle maintenaiit que le del tous enyote !
L&LR.
C*est là Totre yrai nom , et l'antre est emprunté.
mjFADLUf. Mais où vous a-t-il dit qu'il reçut la dartë f
MÀSCARILLB.
Naples est nn séjour qui parait agréable ;
Mais pour yous ce doit être un lieu fort hiôsaable.
TRUFÀLDUI.
Ne peun-tu , sans parler , souffrir notre discours ?
LÉLIE
Dans naples son destin a commencé son cours.
TBWALnni. OÙ l'euToyai-je jeime , et sous quelle conduite .'
HASCARnXE.
Ce pauTre maître Albert a beaucoup de mérite D'ayoir depuis Bologne accompagné ce fils , Qa*à sa discrétion yos soins ayaieut commis.
TRUFALDIN.
Ah!
MASCAHOiLE à part.
Nous sommes perdus si cet entretien dure.
TRUFALDIN.
Je voudrais bien saToir de yous leur aventure , Sur quel vaisseau le sort qui m'a su travailler...
HASCARILLB.
Je ne sais ce que c'est , je ne fais que bâiller. Mais, seigneur Trufaldin, songez-vous que peut-être Ce monsieur l'étranger a besoin de repaître , Et qu'il est tard aussi ?
LÉUE.
Pour moi, point de repas.
MASCAmiJiB»
Ail ! vous avez plus fiiim que vous ne pensez pas.
TRUFALDIN.
Entrez donc.
LÉLIE.
Après vous.
HASCARILLB à Trufaldin.
Monsieur, en Arménie Les maîtres du logis sont sans cérémonie.
( è Lélle, après que Trufaldin est entré dans sa maison. )
Pauvre esprit ! Pas deux mots !
M L'£TOUKDl,
LÉLB.
D'abord Q m'a tarpris ; Mais n'appréhcttide plus , je reprends mes esprits , Et m'en yais débiter avecque bardiesse....
HASCàRItLB.
Voici notre rival , qni ne sait pas la pièce.
(Ib entrent daot U nutott de Trofildln. )
SCÈNE lY.
ANSELME, LÉANDRE. ANSELME.
Arrêtez- VOUS, Léandre, et souffrez un discours Qui cherche le repos et l'honneur de tos jours. Je ne vous parle point en père de ma fille , En homme intéressé pour ma propre famille , Mais comme votre père , ému pour votre foieu , Sans vouloir vous flatter et vous déguiser rien ; Bref, comme je voudrais , d'une âme franche et pure , Que Ton fit à mon sang en pareille aventure ; Savez-vous de quel œil chacun voit cet amour , Qui dedans une nuit vient d'éclater au jour ? A combien de discours et de traits de risée Votre entreprise d'hier est partout exposée ? Quel jugement on fait da clioix capricieux Qui pour femme, dit-on , vous désigne en ces lieux Un rebut de l'Egypte , une fille coureuse , i)e qni le noble emploi n'est qu'un métier de gueuse ? J'en ai rougi pour vous encor plus que pour moi , Qui me trouve compris dans l'éclat que je Toi : Moi , dis-je , dont la fille , à vos ardeurs promise , Ne peut, sans quelque affront, souffrir qu'on la méprise Ah 1 Léandre , sortez de cet abaissement 1 Ouvrez un peu les yeux sur Totre ayeuglement. Si notre esprit n'est pas sage à toutes les heures , Les plus courtes erreurs sont toujours les meilleures Quand on ne prend en dot que la seule beauté i Le remords est bien près de la solennité ; t la plus beUe femme a très-peu de défense Contre cette tiédeur qui suit la jouissance. Je vous le dis encor, ces bouillants mouvements , Ces ardeurs de jeunesse et ces emportements , Nous font trouTer d'abord quelques nuits agrâiMes ;
ACTE IV, SCÈNE V. ^^
Mate ces félicités ne sont guère durables ,
Et, notre passion alentissant son cours,
Après ces bonnes nuits donnent de mauTais jours :
De là Tiennent les soins > les soucis , les misères^
Les fils déshérités par le courroux des pères .
LéANDRB.
Dans tout Yotre discours je n*ai rien écouté Que mon esprit déjà ne m'ait représentée Je sais combien je dois à cet honneur insigne Que vous me Toolez faire, et dont je suis indigne ; Et yois , malgré l'efTort dont je sûte combattu , Ce que yaut Totre fille , et quelle est sa Tertn : A usai veux-je tâcher.. .
ANSELME.
On ouTre cette porte : Retirons-nous plus loin , de crainte qu'il n'en sorte Quelque secret poison dont tous seriez surpris.
SCÈNE V.
LËLIE, MASCARILLE. MASCARILLE.
Bientôt de notre fourbe on Terra le débris , Si TOUS continuez des sottises si grandes.
LÉUE.
Pois-je éternellement ouir tes réprimandes De quoi te peux-tn plaindre ? Ai-je pas réussi En tout ce que j*ai dit depuis?
lUSCARILLB.
Gouçi-couci. Témoin les Turcs par tous appelés hérétiques , Et que TOUS assurez , par serments authentiques , Adorer pour leurs dieux la lune et le soleil. Passe. Ce qui me donne un dépit nonpareil , C'est qu*ici Totre amour étrangement s'oublie; Près de Célie , il est ainsi que la bouillie , Qui par un trop grand feu s'enfle , croit jusqu'aux houU , Et de tous les côtés se répand au dehors.
LéUE.
Pouiraiton se forcer à plus de retenue? Je ne l'ai presque point encore entretenue.
MASCARILLE.
Oui , mais ce n'est pas tout que de ne parler pas ;
«0 L'ËTOURDI,
Par vos gesles, durant un numient de repas , Vous avez aux soupçons donné plus de matière Que d'autres ne feraient dans une année entière.
LÉUE.
Ei comment donc?
MASCARILLE.
Gomment? Chacun a pu le Yoir :, A table f où Tnifaldin l'oblige de se seoir , Vous n'ayez toujours fait qu'avoir les yeux sur elle. Rouge , tout interdit , Jouant de la prunelle, Sans prendre jamais garde à ce qu'on tous servait , Vous n'aviez point de soif qu'alors qu'elle buvait; Et dans ses propres mains vous saisissant du verre , Sans le vouloir rincer , sans rien jeter à terre , Vous buviez sur son reste, et montriez d'affecter Le côté qu'à sa bouche elle avait su porter. Sur les morceaux touchés de sa main délicate , Ou mordus de ses dents , vous étendiez la patte Plus brusquement qu'un chat dessus une souris , Et les avaliez tous ainsi que des pois gris (1). Puis , outre tout cela , vous faisiez sous la table Un bruit, un triquetrac de pieds insupportable, Dont Trufaldin, heurté de deux coups trop pressants, A. puni par deux fois deux chiens très-innocents , Qui , s'ils eussent osé , vous eussent fait querelle. Et puis après cela votre conduite est belle? Pour moi , j'en ai souffert la gène sur mon corps. Malgré le froid, je sue encor de mes efforts. Attaché dessus vous comme un joueur de boule Après le mouvement de la sienne qui roule , Je pensais retenir toutes vos actions , En faisant de mon corps mille contorsions.
LÉLIE.
Mon Dieu ! qu'il t'est aisé de condamner des choses Dont tu ne ressens point les agréables causes ! Je veux bien néanmoins ,* pour te plaire une fois , Faire force à l'amour qui m'impose des lois. Désormais...
(i)Oa disait autrefois, pour exprimer la voracité d'un homme : Cest un ttùaleur dé pois gris. U est probable que le prorerbe tire fvn orl- glne des charlatans qui étalent dans l'nsage d'araler, avec deitértté, de- vant te public, une grande quantité de ces pois. On trouve nn evempl« de ce proverbe dans la Pris&n de d'Assoncj, page m.
ACTE IV, SCÈNE Yll. ti
SCÈNE VI.
TRUFAtDIll, LÊLIE, MASCARILLE.
MÂSCARILLE.
nous pariions des fortunes d'Horace.
TBUFAUIDI. ( à Lélie.)
Cest bien fait Cependant me ferez-vous la ip-âoe Que je pniase loi dire un seul mot en secret?
LÉLIE.
U ftindrait autrement être fort indiscret.
([^lie entre dans U maison de Trufaldin.)
SCÈNE VIL
TRUFALDm» MASCARILLE. TRUFALniM.
Écoute : sais-tu bien ce que je Tiens de faire ?
■A8CARILLE.
non; mais si yous yaaki , je ne tarderai guère , Sans doute , à le saToir.
trqfàldui.
D'un chêne grand et fort , Dont près de deux cents ans ont foit déjà le sort , le viens de détacher une branche admirable » Choisie expressément de grosseur raisonnable , Dont j'ai fait 8ur-Ie*champ , avec beaucoup d'ardeur,
(^11 montre son bras. ) Un b&ton à peu près... oui , de cette grandeur , Moins gros par l'on des bouts , mais , plus que trente gaules « Propre , comme Je pense , à rosser les épaules ; Car il est bien en main , vert , noueux et massif.
MABCABILLB.
Mais pour qui , je tous prie , un tel préparatif .'
TBUFALDIN.
Pour toi premièrement ; puis pour ce bon apôtre Qoi Tout m'en donner d'une et m'en jouer d'une autre ; Pour cet Arméûen , ce marchand déguisé , Introduit sous l'appât d'un conte supposé.
■ASGARILI.E.
Qvol! TOUS ne croyez pas... ?
6
flî L'ÉTOURDI,
TRUFALDIN.
Ne cherche point d'excuse Lui-même heureiuement a découvert sa ruse ; En disant à Cette , en lui serrant la main , Qoe pour elle il Tenait sous ce prétexte vain, Il n'a pas aperçu Jeannette , nia fillole (1), Laquelle a tout ouï , parole pour parole ; Et je ne doute point, quoiqu'il n'en ait rien dit , Que tu ne sois de tout le complice maudis
HASCARtLLE.
^h ! vous me fiâtes tort. S'il fout qu'on vous affronte , Croyez qu'il m*a trompé le premier à ce conte.
TRUFALniN.
Veux-tu me faire voir que tu dis vérité.' Qu'à le chasser mon bras soit du tien assise ; Donnons-en à ce fourbe et du long et du large. Et de tout crime après mon esprit te décharge.
MASCARILLE.
Oui-dè 9 trè&-volonMers , je Tépousterai bien , Et par là vous verrez que je n'y trempe en rieii.
( à part.^ Ah ! vous sere^ rossé, monsieur de l'Arménie , Qui toujours gâtez tout !
SCÈNE vm.
LfiLIE , TRUFALDIN , MASCARILLE.
TRUFALDUf à LéUe , après avoir iiaiirt» à ai
Un niol , je von anpplie. Donc , monsieur l'imposteur , tous osez aujourd'hui Duper un honnêle homme , et voua jouer de lui ?
HASCARILLE.
Feindre avoir vu son fils en une autre contrée , Pour vous donner chez lui plqs aisément entrée !
TROFALDIIf bat Lélie.
Vidons , vidons sur l'heure.
LKLIE à MaftcarjUe , qui le bat aussi. Ah I coquin !
(1) On prononce ftllol à la Tille, dll Vaugelas, ttJlUmU k la oour; et U ajoDte : L'usage de la cour doit prévaloir sur L'usage de la ville, sans y chercher d'autre raison. Cette décision de Vaugelas s'eat acconpUe, malgré l'autorité de Molière.
ACTE IV, SCÈNE Vllf. ej
ikASCARILLE.
C'est ainsi Que les fourbes . .
IkHirreau!
HASCARitLE.
Sont ajustée ici. Gardez-moi bien cela.
LÉLIE.
Quoi donc ! je serais homme...?
MA8GARILLE le battant toujours en le chaisant. Tirez , tirez (1) , vous difrje , ou bien je vous assomme.
TRUFALDm.
Voilà qui me plaît fort ; rentre , je suis content.
(Mascarille suit Trufaldio, qui rentre dans sa maison. )
LÉUE revenant. 4 moi , par un Talet , cet affront éclatant ! L'aaraitK>n pu prévoir l'action de ce trattre» Qui vient insolemment de maltraiter son maître ?
MASCÀRUXE à la fenêtre de Trufaldin. Peut-on vous demander comment va votre dos ?
LÉUE.
Quoi ! tu m'oses encor tenir un tel propos .>
MASCARILLE.
Voilà , voilà que o'est de ne voir pas Jeannette , Et d'avoir en tout temps une langue indiscrète. Mais , pour cette fois-ci , je n'ai point de courroux « Je cesse d'éclater , de pester contre tous ; Quoique de l'action l'imprudence soit haute , Ma main sur votre échine a lavé votre faute.
LÉLIE.
Ah 1 je me vengerai de ce trait déloyal !
MASCARILLE.
Vous vous êtes causé vous-même toitt le mtfl.
LEUR.
Moi?
MASCARILLE.
Si VOUS n'étiez pas une cervelle folle , Quand vous avez parlé naguère à votre idole , Vous auriez aperça Jeannette sur vos pas , Dont l'oreille subtile a découvert le cas.
(I) r<re«, Tireif est Ici pour/tiyaa, éMgneZ'Voui. On dit proverbia- lement , il a tiré au lorgti , pour il t'ttt tiifUi,
M . L'STOUaDI,
Od aurait pu surprendre un mot dit à CéHe?
MAfiCAIlILLB.
El d'où donoques Tiendrait cette prompte sortie ? Oui 9 vous n'êtes dehors que par Totre caquet. Je m sais si souvent vous jooei an piquet : Mais au moins faites-vous des écarts admirables.
LÉLIB.
O le plus malheureux de- tons les misérables ! Mais encore , pourquoi me voir chassé par toi ?
MASCAROXB.
Je ne fis jamais mieux que d'en prendre remploi ; Par là , j'empêche au moins que de cet artifice Je ne sois soupçonné d'être auteur ou complice.
LÉUB.
Tu devais donc , pour toi , fi^pper plus doucement.
HikSCARILLE.
Quelque sot. Trufaldin lorgnait exactement : Et puis , je vous dirai , sous ce prétexte utile Je n'étais point f&ché d'évaporer ma bile. Enfin la chose est faite ; et si j'ai votre foi Qu'on ne vous verra point vouloir venger sur moi , Soit ou directement , ou par quelque antre voie , Les coups sur votre rêble assenés avec joie , Je vous promets , aidé par le poste où je suis , De contenter vos vœux avant qu'il soit deux nuits.
USLIE.
Quoique ton traitement ait eu trop de rudesse , Qu'est-ce que dessus moi ne peut cette promesse ?
HASCARUXB.
Vous le promettez donc ?
Oui , je te le promets.
HASCARILLE.
Ce n'est pas encor tout. Promettez que jamais Vous ne vous mêlerez dans quoi que j'entreprenne.
LéUB.
Soit.
MASCARILLE.
Si vous y manquez, votre fièvre quartainel Mais tiens^noi donc parole , et songe à mon repos-
HASGARILLB.
▲liez quitter l'habit, et graisser votre dot.
ACTE IV, SCÊNt IX. 6S
LÉUfi «eul. Fant-il que le maUieur , qai noe suit à la trace , Me fasse Toir toujours disgrâce sur disgrâce !
MASGARILLB sortant de chez Trufaidiu. Quoi! VOUS n'êtes pas loin? Sortez Tite d'ici; Mais surtout gardez*Tous de prendre aucun souci : Puisque je fais pour vous, que cela vous suffise ; N'aidez point mon projet de la moindre entreprise ; Demeurez en repos.
LÉLIE en sortant.
Oui , va , je m*y tieudrai.
HASCARILLE seal.
Il faut Yoir maintenant quel biais je prendrai.
SCÈNE IX.
EEGASTK , MASCARILLE. ERGASTE.
Mascarille , je viens te dire une nouvelle Qui donne à tes desseins une atteinte cruelle. A l'heure que je parie , un jeune Égyptien , Qui n'est pas noir pourtant y et sent assez son bien , Arrive , accompagné d'une vieille fort hâve , Et vient chez Trufaldin racheter cette esclave Que vous vouliez ; poar elle il parait fort zélé.
HASCAlULLfi.
Sans doute c'est l'amant dont Célie a parlé. Fut-il jamais destin plus brouillé que le nôtre ! Sortant d'un embarras^ nous entrons dans un autre. En Tain nous apprenons que Léandre est au point De quitter la partie, et ne nous troubler point ; Que son père , arrivé contre toute espérance , Du cdté d'Hippolyte emporte la balance , Qu'il a tout fait cîianger par son autorité , Et va dès aujourd'hui conclure le traité; Lorsqu'un riTal s'éloigne ^ un autre plus funeslr S'en vient nous enlever tout l'espdr qui nous res^ie. Toutefois , par un trait merveilleux de mon art , Je crois que je pourrai retarder leur départ , Et me donner le temps qui sera nécessaire Pour tâcher de finir cette fameuse affaire. Il s'est fait un grand vol ; ])ar qui ? Ton n'en sait rien : Eni autres rarement passent pour gens de bien ;
ea L'ETOUEDI,
Je reui adroitement , sur un loapton friYolè» Faire pour quelques jours emprisonner ce drôiei le sais des officiers , de justice altérés , Qui sont pour de tels coups de vrais délibérés; Dessus l'aTide espoir de quelque paraguante (1) , Il n*est rien que leuc art avengléBient ne tente ; Et du plus innocent , toujours à leur profit La bourse est crimineHe , et paye son délit.
ACTE V.
SCÈNE PREMIÈRE.
HASCARILLE, ERGASTE.
MA-SCARILLB.
Ah ! chien 1 ab ! double chien ! mâtine de ceryelleT Ta persécution 8era-t<«Ile étemelle?
ERGASTE.
Par les soins vigilants de l'exempt Balafl^ , Ton affaire allait bien , le drôle était coffré , Si ton mettre an moment ne fût venu hii-méme , En vrai désespéré, rompre ton stratagème : Je ne saurais soufiTrlr , a-t-H dtt hautement , Qu'un honnête homme soit trafné honteusement ; J'en réponds sur sa mine , et je le cautionne : Et, comme on résistait à lâcher sa personne , D'abord il a chargé si biefi sur fes recors , Qui sont gens d'ordinaire à craindre pour leur corp», Qu'à l'heure que je parle ils sont encore en f^lte , Et pensent tous avoir nn LéKe à leur suite.
MASCARn^LE.
Le tralfere ne sait pas que cet Égyptien Est déjà là-dedans pour lui ratir son bien.
BRGAflrrE. Adieu. Certaine afIUre à te quitter m'oblige.
(1) Les Espagnols disent eaeore iDarpara gvumtti; eest-A-dtare» 4dii- lier jwur lei ganti, dont now avons Catt le moltpmra§utmH, (Méwatti.) — On donne ce nom an présent qu'on (ait à one personnt dont on a
reçu quelques bons offloes.
ACTE V, SCÈNE III. «7
SCÈNE II.
MASCARILLE.
Oui, je suis stupéfait de ce dernier prodige.
On dirait ( et pour moi J'en suis persuadé )
Que ce démon brouillon dont il est possédé
Se plaise à me braver, et me l'aille conduire
Partout où sa présence est capable de nuire.
Pourtant je Yeux poursuivre, et, malgré tous ces coups,
Voir qui l'emportera de ce diable ou de nous.
Célie est quelque peu de notre intelligence ,
Et ne voit son départ qu'avecque répugnance.
Je l&che à profiter de cette occasion. ^ais ils Tiennent ; songeons à l'exécution.
Cette maison meublée est en ma bienséance,
Je pois en disposer avec grande Mcence ;
Si le sort nous en dit , tout sera bien réglé ;
Nul que mol ne s'y tient , et j'en garde la clé.
O Dieu ! qu'en peu de temps on a tu d'aventures ,
Et qu'un fourbe est contraint de prendre de figures i
SCÈNE IIL
CËUE^ ANDRÉ». ANDBÈS.
Vous le savez , Célie , il n'est rien que motf cceuf N'ait fait pour tous prouver l'excès de son ardeur. Chez les Vénitiens , dès un assez jeune &ge , Lk guerre en quelque estime aVait mis mon courage , Et j'y pouvais nn jour , sans trop croire de moi , Prétendre , en les servant , un honorable emploi ; Lorsqu'on me vit pour tous oublier toute chose , et que le prompt effet d'une métamorphose , Qui suiYÎt de mon cœur le soudain changement , Parmi tos compagnons sut ranger votre amant , Sans que mille accidents , ni totre indifférence , Aient pu me détacher de ma persévérance. Dq>ui8 , par un hasard , d'avec vous séparé Ponr beaucoup plus de temps que je n'eusse auguré , Je n'ai , pour vous rejoindre, épargné temps ni peine i Enfin, ayant trouvé la vieille tgyptiennê/
1
M L*£T0U11DI,
et pleiii d'impatience , appcenant votre sort , Que pour certain argent qui leur importait for: , Et qui de tons tos gens détourna le naufrage , Vous aviez en ces lieux été mise en otage , l'accours vite y briser ces diatnes d'intérêt , Et recevoir de vous les ordres qu'il vous plalt : Cependant on vous voit une morne tristesse. Alors que dans vos yeux doit briller l'allégresse. Si pour vous la retraite avait quelques appas , Venise, du butin fait parmi les combats , Me ganle pour tous deux de quoi pouvoir y vivre ; Que si f comme devant , il vous faut encor suivre , J'y consens , et mon coeur n'ambitionnera Que d'être auprès de vous tout ce qu'il vous plaira.
CÉUE.
Votre zèle pour moi visiblement éclate :
Pour en paraître triste , il faudrait être ingrate ,
Et mon visage aussi » par son émotion ,
N'explique point mon cœur en cette occasion.
Une douleur de tète y peint sa violence ;
El si j'avais sur vous quelque peu de puissance ,
Notre voyage , au moins pour trois ou quatre jours ,
Attendrait que ce mal eût pris un autre cours.
ANURàS.
Autant que vous voudrez , faites qu'il se difière. Toutes mes volontés ne butent qu'à vous plaire . Cherchons une maison à vous mettre en repos. L'écriteau que voici s'offre tout à propos.
SCÈNE IV.
CËLIE, ANDRÈS, MASCARILLE déguisé en Suisse.
ANDRtlS.
Seigneur Suisse , étes-vous de ce logis le maître ?
HASCIARILLE.
Moi pour serfir à fous.
AHDRËS. .
Pourrons-nous y bien être ?
MASCAIULLE.
Oui ; moi pour d'étraucher chafons champre carni t Ma che non point lucher te chans de, méchant vi.
ANDRÈS.
Je crois votre maison franche de tout, ombrage.
ACTE V, SCÈNE y. 69
HA8CAR1LLE.
Fous noufeau dans sti fil , moi foir à la fissage.
AlfDRÈS.
i>ui.
MASGARILLE.
La matame est-il marii^e al monsieur ?
ATVDRÈS.
Quoi?
MASGARILLE.
S*il être son famé, on s'il être son sœur?
ANDRèS.
Non.
MASGARILLE.
Mou foi , plen clioli ; fenir pour marchantissc , Ou pien pour temanter à la palais choustice ? La procès il faut rien , il coûter tant t'archant ! La procurair larron , Tafocat pien méchant.
ANDRÈS.
Ce n'est pas pour cela.
MASGARILLE.
Fous tonc mener sti file Pour fenir pourmener et recarter la file ?
ANDRÈS. (àCéUe.) H n'importe. Je suis à vous dans un moment. Je yaû faire venir la vieille promptement , Contremander aussi notre voiture prête.
MASGARILLE.
U ne porte pas pien.
ANDRÈS.
Elle a mal à la tête.
MASGARILLE.
Mol chafoir te pon fin, et te fromage pon. Entre fous , entre fous tans mon petit maisson.
(Célie , Andrès et Maacarille entrent dans la maison.)
SCÈNE V.
L£L1E.
Qod que soit le transport d'une &me impatiente. Ma parole m'engage à rester en attente , A. laisser faire un autre , et voir sans rien oser. Gomme de mes destins le ciel veut disposer.
76 L'£TOURb<,
SCÈNE VI.
ANDRÊS, LÉLIE.
LÉUB à Andrèt qui «ort de U OMitOB. bemandiez-TOus quelqu'un dedans cette deraeorp?
ANDRÈ8.
C*eftt un logis garni que j*ai pris tout à l'heure .
L&JB.
k mon père pourtant la maison appartient, Et mon valet , la nuit , pour la garder s'y tient.
Je ne sais; l'écriteau marque au moins qu'on la loue ; Lisez.
Certes , ceci me surprend , je l'ayoue. Qui diantre l'aurait mis? et par quel intérêt. ... ? Ah ! ma foi , Je devine à peu près ce que c'est ! Cela ne peut venir que de ce que j'augure.
ANnÉÈs. t>eut-on vous demander quelle est cette aventure?
LÉUB.
Je voudrais à tout autre en faire un grand secret ; Mais pour vous il n'importe , et tous serez discret. Sans doute l'écriteau que vous voyez paraître, Comme je conjecture, au moins , ne saurait être Que qudque invention du valet que Je di. Que quelque nœud subtil qu'il doit avoir ourdi Pour mettre en mon pouvoir certaine Égyptienne Dont j'ai l'&me piquée , et qu'il faut que j'obtienne. Je l'ai déjà manquée , et même plusieurs coups.
ANDRÈS.
Vous l'appelez ?
LÉUB.
CéUe.
AMBRÉS.
Eh ! que ne disiez-vous? Vous n'aviez qu'à parler, Je vous aurais sans doute Epargné tous les soins que ce projet vous coûte.
LÉLIB.
Quoi ! vous la connaissez?
AXÙBÈ&.
C'est moi qui maintenant Tiens de la racheter.
ACTE V. SCÏfei>E VU. 71
O discours surprienapC!
AHDRàS.
Sa saoté de partir ne nous pouvant permettre , àa logis que voilà je renais de la mettre ; Et je suis très-raTÎ , dans cette occasion , Que TOUS m'ayez instruit de votre intention.
LÉUE.
Quoi ! j'obtiendrais de vous le bonheur que j 'espère ? Vous pourriez...?
ANDRÈS alUnt frapper à la porte.
Tout k Pheure on va vous satisfaire.
LÉUE.
Que pourrai-je vous dire ? Et quel remerdment.. . ?
ARDRÈS.
M«i, ne m'en faites point, je n'en veux nnllement.
SCÈNE Vil.
LÊLIE, ANDEËS, MASCARILLE. HASCARU.LB à part.
Hh bien 1 ne voilà pas mon enragé de mettrai
Il nous va faire encor quielcpie nouveau bissétre (1).
Sous ce grotesque habit qui l'aurait reconnu . Approche , Mascarille , et sois la bienvenu.
Mm aooia céd chaai t'hot^ieor, moi non point MaqueriUe ; Chai point feutre ch^ais le fiîme ni le fille.
Le plaisant baragouip ! il e^tbon, sur ma foi t
MASCAIUUE.
Allez fous pourmener, s^ns toi rire te moi.
UÉLIE.
Va, va, lève le masque , et reconnais ton maître.
HASCARItLE.
Partie ! tiable, mon foi chamais toi cha| connaître
LÉUE.
Tout est accommodé, ne te déguise point- _
(I) Vleox mot qvl slffsUalt malheur, par corruption du lool biitfxu , parce qne anciepoeiQent Tannée bissextile était réputée malheur ruse ( Uv. )
?î L'ÉTOUKDI,
«AflCAElLU.
Si toi point t'en aller, ehe paille dn coup te poing.
LÉUE.
Ton jargon allemand est superfla , te di»je ; Car nous sommes d'accord , et «a bonté m'oblige. .T'ai tout ce qœ mes yobux lui pouyaient demander. Et tu n'as pas sujet de rien appréhender.
MASCARILLE.
Si TOUS êtes d'accoid par on bonbeur extrême , Je me dessuisse donc, et redeviens moi-même.
ANDRÈS.
Ce valet TOUS servait avec beaucoup de feu. Mais je reviens à vous , deraeureis quelque peu .
SCÈNE VIII,
LËLIE, MASCARILLE.
LÉLIE.
El) bien ! que diras-tu ?
MASCARILLE.
Que j'ai l'ême ravie De voir d'un beaa succès notre peine suivie.
LÉLUS.
Tu feignais à sortir de ton déguisement, Et ne pouvais me croire en cet événement.
MASCARILLE.
Comme je vous connais , j'étais dans l'épouvante, Et trouve l'aventure aussi fort surprenante.
LÉLIE.
Mais confesse qu'enfin c'est avoir feit beaucoup. Au moins j'ai réparé mes fautes è ce coup , Et j'aurai cet honneur d'avoir lin! l'ouvrage.
MASCARILLE.
Soit ; vous aurez été bien plus heureux que sage.
SCÈNE IX.
C£LIE, ANDRÈS, LËLIE, MASCARILLE
ANDRÈS.
n'est-ce pas là l'objet dont vous m'avez parlé?
LÉLIB.
Ah ! quel bonheur au mien pourrait être égalé!
ACTE Y, SdtoF XI. n
ARimÈS.'
Il est vrai , d'un bienfait je tous suis redeYable. Si je ne l'avouais je serais condamnable : Mais enfin ce bienfait aurait trop de rigueur S'il fallait le payer aux dépens de mon cœur, logez, dans le transport où sa beauté me jette, Si je dois à ce prix vous acquitter ma dette; Vous êtes généreux , vous ne le voudriez pas : Adieu. Pour quelques jours retournons sur nos pas.
SCÈNE X.
L£LIE , MASCARILLE.
MASCABILLE, après avoir chaulé. ic ris , et toutefois je n'en ai guère envie ; Vous voilà bien d'accord, il vous donne Célie; Hem! TOUS m'entendez bien.
LÉLIE.
C'est trop ; je ne veux plus Te demander pour moi de secours superflus. Je suis un chien , un traître , un bourreau détestable , Indigne d'aucun soin, de rien faire incapable. Va, cesse tes efforts pour un malencontreux , Qui ne saurait souffrir que l'on le rende heureux. Après tant de malheurs , après mon imprudence , Le trépas me doit seul prêter son assistance.
SCÈNE XI.
MASCARILLE.
Voilà le vrai moyen d'achever son destin ;
H ne lui manque plus que de mourir enfin, *
Pour le couronnement de toutes ses sottises.
Mais en vain son dépit pour ses fautes commises
Lui fait licencier mes soins et mon appui ,
Je renx , quoi qn'il en soit, le senrir malgré lui ,
Et dessus son luUn obtenir la victoire.
Plus l'obstacle est puissant , plus on reçoit de gloire ;
Et les difficultés dont on est combattu
Sont les dames d'atours qui parent la vertu.
MoLIÈUE. T. 1.
74 L'ÉTOURDI,
SCfÈNE XII.
CËL1E, KASCARILLE.
CÉLIE à MaMarill«, qui lui a parlé baa. Quoi que tu veuilles dire, et que Ton se propose, De ce retardement j'attends fort peu de chose. Ce qu'on voit de succès peut bien persuader Qu'ils ne sont pas encor fort près de s'accorder : Et Je t'ai déjà dit qu'un cœur comme le nAtre Me Toudrait pas pour l'un faire injustice à l'autre , Et que très-fortement , par de différents nceiids , Je me trouve attachée au parti de tous deu\. Si Lélie a [Mur lui l'amour et sa puissance, Andrès \h)\\t son partage a la reconnaissance , Qui ne souffrira point que mes pensers secrets Consultent jamais rien contre ses intérêts. Oui , s'il ne peut avoir plus de place en mon Ame, Si le don de mon cœur ne couronne sa flamme , Au moins dois-je ce prix à ce qu'il fait pour moi De n'en choisir point d'autre , au m(^pris de sa foi , Et de faire à mes vœux autant de violence Que j'en fais aux désirs qu'il met en évidence. Sur ces difficultés qu'oppose mon devoir, jQge ce que tu peux te permettre d'espoir.
MASCARILLE.
Ce sont , à dire vrai , de très- fâcheux obstacles , Et je ne sais point l'art de faire des miracles ; Mais je vais employer mes efforts plus puissants , Remuer terre et ciel , m'y prendre de tous sens Pour t&cher de trouver un biais salutaire , Et vous dirai bientôt ce qui se pourra faire.
•
SCÈNE XHI.
HIPPOLYTE , CÊUE.
HIPPOLYTE.
Depuis votre séjour, les dames de ces lieux Se plaignent justement des larcins de vos yeux , Si vous leur dérobez leurs conquêtes plus l)eUes Ht de tons leurs amants faites des infidèles : Il n'est guère de cœurs qui puissent échapper
ACTE V, SCÈWE XIV. 7*
Aux traiU dont à Fabord vous savez les frapper ; Et mille libertés , à vos chaînes ofTertes , Semblent vous enrichir cliaque jour de nos pertes. Quant à moi , toutefois je ne me plaindrais pas Du pouvoir absolu de vos rares appas , Si , lorsque mes amants sont devenus les vôtres , On seul m'e&t consolé de la perte des autres ; Mais qu'inhumainement vous me les ôtiez tous , Cest un dur procédé dont je me plains à vous.
CÉUE,
Voilà d'un air galant faire une raillerie ;
liais épargnez un peu celle qui vous en prie.
Vos yeux y vos propres yeux se connaissent trop bien.
Pour pouvoir de ma part redouter jamais rien ;
Ils sont fort assurés du ponvdr de leurs cliarmes»
Et ne prendront jamais de pareilles alarmes.
HfPPOIYTE.
Pourtant en ce discours je n'ai rien avancé Qui dans tous les esprits ne soit déjà passé ; Et sans parler du reste , on sait bien que Célie k causé des désirs à Léandre et Lélie.
CÉLIE.
ie crois qu'étant tombés dans cet aveuglement , Vous vous consoleriez de leur perte aisément , Et trouveriez pour vous l'amant peu souhaitable Qui d'un si mauvais choix se trouverait capable.
HIPPOLYTE.
AU contraire » j'agis d'un air tout différent , Et trouve en vos beautés un mérite si grand ; J'y vois tant de raisons capables de défendre L'inconstance de ceux qui s'en laissent surprendre , Que je ne puis blâmer la nouveauté des feux Dont envers moi Léandre a parjuré ses vœux , Et le vais voir tantôt, sans haine et sans colère , Ramené sous mes lois par le pouvoir d'un père.
SCÈNE XIV.
C£LIE , HIPPOLYTE , MASGARILLE. ^ MASCAftILLE.
Grande , grande nouvelle , et succès surprenant , Que ma bouche vous vient annoncer maintenant !
76 L*ÊTOURDI,
CÉUE.
Qu'est-ce donc ?
MiLSCARlLLE.
Écoutez; voici sans flatterie...
CÉLIE.
Quoi?
MASC4RILLE.
La fin d'une vraie et pure comédie. La vieille Égyptienne à l'heure même...
CÉLIE.
Eh bien ?
MASCARILLE.
Passait dedans la place , et ne songeait à rien.
Alors qu'une autre vieille assez défigurée
L'ayant de près au nez longtemps considérée ,
Par un bruit enroué de mots injurieux ,
A. donné le signal d'un combat furieux ,
Qui pour armes pourtant, mousquets, dagues ou flèches,
Ne faisait voh* en l'air que quatre griffes sèches ,
Dont ces deux combattants s'efforçaient d'arracher
Ce peu que sur leurs os les ans laissent de chair.
On n'entend que ces mots, chienne, louve, bagasse.
D'abord leurs scoffions (1) ont volé par la place ,
Et, laissant voir à nu deux têtes sans cheveux,
Ont rendu le combat r^iblement alîreux.
Andrès et Trufiildin , à Téclat du murmure ,
Ainsi que force monde , accourus d'aventure ,
Ont à les décharphr (2) eu de la peine assez ,
Tant leurs esprits étaient par la fureur poussés.
Cependant que chacune , après cette tempête ,
Songe à cacher aux yeux la honte de sa tête ,
Et que l'on veut savoir qui causait cette humeur ,
Celle qui la première avait fait la rumeur ,
Malgré la passion dont elle était émue ,
Ayant sur Trufaldin tenu longtemps la vue :
C'est vous , si quelque erreur n'abuse ici mes yeux ,
Qu'on m'a dit qui viviez inconnu dans ces lieux ,
A-t-elle dit tout haut ; à rencontre opportune I
Oui , seigneur Zanobio Ruberti , la fortune
(I) Etcoffiùns, nom ancien d'une coiffe de femme. On disait également €$ccffions ou tcofftons.
(«) Dëeharpir, expression basse et populaire, mais énergique, et qui ne se trouve pas dans le Dictionnaire de l'Académie : elle signtlie séparer »Tec eUort des personnes acharnées l'une contre l'antre.^
ACTE V, SCÈNE XIV. 77
Me fait vous reconoaKre, et dans le même iustimt Que pour votre intérêt je me tourmentais tant. Lorsque Naples vous yit quitter votre famille , J'avais , vous le savez, en mes mains votre fille, Dont j'élevais l'enfance , et qui, par mille traits , Faisait voir, dès quatre ans , sa grâce et ses attraits Celte que vous voyez , cette infâme sorcière. Dedans ilotre maison se rendant familière , Me vola ce tfésor. Hélas 1 de ce malheur Votre femme, Je crois, conçut tant de douleur. Que cela servit fort pour avancer sa vie : Si bien qu'entre mes mains cette fille ravie Me faisant redouter un reproche fâsheux. Je vous fis annoncer la mort de toutes deux. Mais il faut maintenant , puisque je l'ai connue, Qu'elle fasse savoir ce qu'dle est deveaue. Au nom de Zanobio Rubertl , que sa voix , Pendant tout ce récit, répétait plusieurs fois , Andrès, ayant changé quelque temps de visage , A Trufaldin surpris a tenu ce langage : Quoi donc! le ciel me fait trouver heureusement Celui que jusqu'ici j'ai cherché vainement , Et que j'av^ pu voir , sans pourtant reconnaître La source de mon sang et Tauteur de mon être ! Oui , mon père , je suis Horace votre fils. D'Albert , qui me gardait , les jours étant finis , Me sentant naître au cœur d'autres inquiétudes , Je sortis de Bologne , et, quittant mes études , Portai durant six ans mes pas en divers lieux, Selon que me poussait un désir curieux : Pourtant , après ce temps, une secrète envie Me pressa de revoir les miens et ma patrie ; Mais dans Naples, hélas 1 je ne vous trouvai plus, Et n'y sus votre sort que par des bruits confus : Si bien qu'à votre quête ayant perdu mes peines , Venise pour un temps borna mes courses vaines ; Et j'ai vécu depuis , sans que de ma maison J'eusse d'autres clartés que d'en savoir le nom. Je vous laisse à juger si , pendant ces affaires , Trufaldin ressentait des transports ordinaires. Enfin, pour retrancher ce que plus à loisir Vous aurez le moyen de vous faire éclaircir Par la confession de votre Égyptienne , Trufaldin maintenant vous reioonnatt pour sienne ;
7.
7S L'ÉTOURDI,
Andrès est votre frère ; et comme de sa sœur Il ne peut plus songer à se Toir possesseur , Une obligation qu'il prétend reconnaître A fait qu'il tous obtient pour épouse à mon maître, Dont le père , témoin de tout l'événement , Donne à cet hyménée un plein oonsentement , Et , pour mettre une joie entière en sa famille , Pour le nouvel Horace a proposé sa fille. Voyez que d'incidents à la fois enfantés! *
céuB. Je demeure immobile à tant de nouveautés.
MASCARILLB.
Tons viennent sur mes pas , hors les deux championnes «
Qui du combat encor remettent leurs personnes.
Léandre est de la troupe, et votre père aussi.
Moi je vais avertir mon mattre de ced ,
Et que, lorsqu'à ses vœnx on croit le plus d'obstacle ,
Le del en sa faveur produit comme un miracle.
( Mascariiie sort. ) mPPOLTTË.
Un tel ravissement rend mes esprits confus , Que pour mon propre sort Je n'en aurais pas phis. Mais les voici venir.
SCÈNE XV.
TRUFALDIN, ANSELME, PAKDOLFE, CÈLIK, HIPPOLYTE, LÉAIVDRE, ANDRÈS.
TRVFALDIN.
Ah 1 ma fille!
CéLIB.
* Ah! mon père!
TRUFALDIN.
Sais-tu déjà comment le ciel nous est prospère ?
CÉLIE.
Je viens d'entendre ici ce succès merveilleux.
HIPPOLYTE à Léandre.
En vain vous parleriez pour excuser vos feux , Si j'ai devant les yeux ce que vous pouvez dire.
LÉANDRE.
Un généreux pardon est ce que je désire : Mais j'atteste les cieux qu'en ce retour soudain Mon père fait bien moins que mon propre dessein.
ACTE V, SCÈNE XVI. 79
AMDRÈS à Céiie. Qui l'aorait jamais cra que cette ardear si pure Pût être condamnée un jour par la nature ! Toutefois tant d'honneur la sut toujours régir, Qu'en y changeant fort peu je puis la retenir.
CéUE.
Poor moi , je me blâmais, et croyais faire faute, Quand je n'ayais pour vous qu'une estime très-haute. le ne ponyais savoir quel obstacle puissant M'arrêtait sur un pas si doux et si glissant. Et détournait mon cœur de l'aveu d'une flamme Que mes sens s'efforçaient d'introduire en mon &me.
TRVFÂLDIN a Célie. Mais en te recouvrant, que diras-tu de moi , Si je songe aussitôt à me priver de toi , Et t'engage à son fils sous les lois d'hyménée ?
CÉUE.
Que de vous maintenant dépend ma destinée.
SCÈNE XVI.
TRUFALDIN, ANSELME, PANDOLFE, CËLIE, HIPPOLYTE LÊLTE, LËANDRE, ANDRÉS , MASCARILLE.
HÀSCARILLE à Lélic.
Voyons si votre diaUe aura bien le pouvoir De détruire à ce coup un si solide espoir ; Et si, contre l'excès du bien qui nous arrive, : Vous armerez encor votre Imaginative. Par un coup imprévu des destins les plus doux , Vos vœux sont couronnés , et Célie est à vous.
LÉUE.
Croirai-je que du ciel la puissance absolue...
TRUFA1J>IN.
Oui , mon gendre , il est vrai.
PANDOLFE.
La chose est résolue. ANDRÈS à Lélie Je m'acquitte par là de ce que je vous dois.
LÉUE à Mascarille.
Il faut qu6 je Vembrasse et mille et mille fois. Dans cette joie. .
MASCARILLE.
Ahil alii: doucement, je vous prie.
80 L*£T0URD1.
Il m'a presque étoufTé. Je crains fort pour Célie , Si YOitt la caressez avec tant de transport : De Tos embraflsements on se passerait fort.
TRUFÀLDIN à Lëlie.
Vous laveacle bonheur que le ciel me renvoie ; Mais puisqu'un même jour nous met tous dans ta joie » Ne nous séparons point qu'il ne soit terminé « Et que son père aussi nous soit vite amené.
MASGARIIXE.
Vous Toilà tous pourvus. N'est-il point quelque fille Qui pût accommoder le pauvre Mascarille ? A voir cliacun se joindre à sa chacune ici , J'ai des démangeaisons de mariage aussi.
4MSEUIE.
J'ai ton fait.
HASCÀRILLE.
Allons donc ; et que les cieux prospères Nous donnent des enfants dont nous soyons les pères ;
FI?C DE l'étourdi.
LE DEPIT AMOUREUX,
(comédie, 1604-1658.)
PERSONNAGES.
ÉliASTB, aoiant de LucUe. ALBERT, père de Lucile et d'Ascagnc. GROS-RJENB (i), valet d'Érastc. VALÈRE, fils de Polldore. LDCILE, fille d'Albert MARINETTE, suivante de Lucile. POLIDORE, père de Valére. FROSINE, confidcDte d'Ascagne. ASCAGNE, fille d'Albert déguisée en homme. MASCARILLE. Talet de Vaière. MÉTAPHRASTE(a}, pédant. LA RAPIÈRE, bretteur.
La scène est à Parts.
ÀCTECRS. BâiART atné:
MOLIXAE. DUPARC.
BÉJART Jeune. M"* DE Bru. Magd. BEJA.RT.
Du Crout. Dr Brir.
ACTE PREMIER.
SCÈNE PREMIÈRE.
ËRASTE, GROS-RENÉ. ÉRASTE.
Veux-tu que je te die ? une atteinte secrète Ne laisse point mon ftme en une bonne assiette. Oui , quoi qu'à mon amour tu puisses repartir, Il craint d'être la dupe , à ne te point mentir ; Qu'en faTeur d'un rival ta foi ne se corrompe , Ou du moins qu'avec moi toi-même on ne te tromi)e.
G%09-REMé.
Pour moi , me soupçonner de quelque mauvais tour , Je dirai (n'en déplaise à monsieur votre amour)
(0 Gros-Rritr, nom de tbéfttre de Ooparc. Il parait que Molière vou- lait donner le nom de Crot-René aux rôles qu'il faisait pour cet acteur, comme Jodelet avait donné le sien aux rôles que Scarron avait faits pour lut.
(«)Mot grec : il signifie qui traduit d'une langue dont une «mtrt, Q: nom exprime parfaitement la manie de Métaphrtut»*
92 LE DÉPIT AMOUREUX,
Que c'e&t injustement blesser ma prudMiomie,
Et se connaître mal en physionomie.
Les gens de mon minois ne sont point accusés
D^être, gr&ces à Dieu , ni fourbes , ni rosés.
Cet honneur qu'on nous fait, je ne le démeiis^iièreSy
Et suis homme fort rond de toutes les manières.
Pour que Ton me trompât , cela se pourrait bien ,
Le doute est mieux fondé; pourtant je n'eu crois rien.
Je ne yoîs point encore , ou je suis une bête ,
Sur quoi tous aTez pu prendre martel en tête (1).
Ludle , à mon avis , tous montre assez d'amour ;
Elle TOUS Toit , TOUS parle à toute heure du jour ;
Et Valère, après tout, qui cause Totre crainte.
Semble n'être à présent souffert que par contrainte.
ÉRÀSTB.
SouTent d'un faux espoir un amant est nourri :
Le mieux reçu toujours n'est pas le plus chéri ;
Et tout ce que d'ardeur font paraître les femmes
Parfois n'est qu'un beau Toile à couTrir d'autres flammes.
Valère enfin, pour être un amant rebuté,
Montre depuis un temps trop de tranquillité ;
Et ce qu'à ces faTeurs , dont tu crois l'apparence ,
Il témoigne de joie ou bien d'indifférence,
M'empoisonne à tous coups leurs plus charmants appas ,
Me donne ce chagrin que tu ne comprends pas ,
lient mon bonheur en doute, et me rend difficile
Une entière croyance aux propos de Lueiâie.
Je Toudrais, pour trouTer un tel destin plus doux ,
Y Toir entrer un peu de son transport jaloux ,
Et, sur ses déplaisirs et son impatience ,
Mon âme prendrait lors une pleine assurance.
Toi-même penses-tu qu'on puisse , comme il fait ,
Voir chérir un riTal d'un esprit satisfait?
Et , si tu n'en crois rien, dis-moi, je t'en conjure,
Si j'ai lieu de rêver dessus cette aTenture ?
GROS-RENÉ.
Peut-être que son cœur a changé de àésirs , Connaissant qu'il poussait d'inutiles soupirs.
ÉRASTE.
Lorsque par les rebuts une âme est détachée , Elle Teut fuir l'objet dont elle fut touchée,
(i) Martel, vieux mol qui signifie marteau. On dit figurément avoir mortel en tite, pour se tourmenter, s'inquiéter, être frappé tans cesse 4t*uBe pensée chagrine.
ACTE I , SCÈNE I. 83
Et ne rompt point sa chaîne avec si pea d'éclat Qu'elle puisse rester en un paisible état. De ce qn*on a chéri la fatale présence Ne nous laisse jamais dedans Tindifférence ; Ety si de cette Toe on n'accroît son dédain , Notre amour est bien près de nous rentrer au sein : Enfin y crois-moi , si bien qu'on éteigne une flamme , Un peu de jalousie occupe encore une âme , Et l'on ne saurait Toir , sans en être piqiié , Posséder par un autre un cœur qu'on a manqué.
GROS-REKIÊ.
Pour mol y je ne sais point tant de philosophie :
Ce que yoyent mes yenx, franchement je m'y lie ;
Et ne suis point de moi si mortel ennemi,
Qne je m'aille affliger sans sujet ni demi (1).
Pourquoi subtiliser , et faire le Cjq)able
A cliercber des raisons pour être misérable?
Sur des soupçons en l'air je m'irais alarmer !
Laissons Tenir la fête avant que la chômer.
Le chagrin me parait une incommode chose ;
Je n'en prends point pour moi sans bonne et juste cause ;
Et mêmes à mes yeux cent sujets d'en avoir
S'offrent le plus souvent que je ne veux pas voir.
Avec vous en amour je cours même fortune ,
Cdle que vous aurez me doit être commune ;
La maltresse ne peut abuser votre foi ,
A moins que la suivante en fasse autant pour moi :
Mais j'en fois la pensée avec un soin extrême.
Je veux croire les gens quand on me dit : Je t'aime ;
Et ne vais point chercher , pour m'estimer heureux ,
Si Mascarille on non s'arrache les dieveux.
Que tantôt Marinette endure qu'à son aise
Joddet par plaisir la caresse et la baise ,
Et que ce beau rival en rie ainsi qu'un fou ,
A son exemple aussi j'en rirai tout mon soûl :
^t l'on verra qui rit avec meilleure grâce.
ÉRASTE.
Voilà de tes discours.
CROS-REMÉ.
Mais je la vois qui passe.
fOr/est-à-dlre. gant miet ni demi-tujei ; ancienne locuUoii qui n'c&t pliisen usage. (B^)
84 LE DËPIT AMOUREUX •
SCÈNE IL
ERASTE, MA&INETTE, GROS-RENË. GROS-RENÉ.
St, Marinette!
HARINETTE.
Ho! ko! Que fais-tu là?
GROS-REMÉ.
Ma foi , Demande , nous étions tout à i*heure sur toi.
MARINETTE.
Vous êtes aussi là , monsieur 1 I>epuis une lieure
Vous m'avez fait trotter comme un Basque , ou je meure.
ÉRASTE.
Comment?
HARINETTE.
Pour vou^cherclier j'ai fait dix mille pas, Et vous promets, ma foi...
ÉRASTE.
Quoi?
HARINETTE.
Que vous n'êtes pas Au temple, au cours, chez vous, ni dans la grande place (1).
GROS-RENÉ.
Il fallait en jurer.
ÉRASTE.
Apprends-moi donc , de grâce. Qui te fait me chercher?
HARINETTE.
Quelqu'un, en vérité, Qui pour vous n'a pas trop mauvaise volonté ; Ma maîtresse , en un mot.
ÉRASTE.
Ah! chère Marinette, Ton discours de son cœur est-il bien l'interprète ? Ne me déguise point un mystère fatal ; Je ne t'en voudrais pas pour cela plus de mal :
U) Temple est peut-être Ici pour église. Peut-être aussi , comme 0 y avait autrefois au Temple un Jardin public , on disait aller au Temple^ comme on dit aller aux Tuileries. Le cowrs existe encore : c'est la partie des Champs-Elysées qui porte le nom de Cours-la-Rclne . en mé- moire de Médicts, qui le ût planter- Enfla , la grande place désignée tel «st ia place Royale»
ACT£ I, SCÈNE II. 85
Au aoDi des dieux , dis-moi si ta belle maîtresse N'abuse point mes vœux d'une fausse teodressa
HARINETTB.
Hé, hé! d*où vous vient donc ce plaisant mouvement P Kile ne fait pas voir assez son sentiment? Quel garant est-ce encor que votre amoiir demande ? Que lui faut-il?
GROS-RERé.
A moins que Yalère se pende , Bagatelle , son cœur ne s'assurera point.
MARraETTE.
Comment ?
GROS-RENÉ.
Il est jaloux jusques en un tel point.
MARINErrE.
De Yalère? Ah ! vraiment la pensée est bien belle! Elle peut seulement naître en votre cervelle. Je vous croyais du sens , et jusqu'à ce moment J'avais de votre esprit quelque bon sentiment; Mais , à ce que je vois , je m'étais fort trompée. Ta tète de ce mal est-elle aussi frappée?
GROS-RENÉ.
Moi, jaloux ? Dieu m'en garde, et d'être assez badin (1) Pour m'aller emmaigrir avec un tel chagrin I Outre que de ton cœur ta foi me cautionne , L'opinion que j'ai de moi-même est trop bonne Pour croire auprès de moi que quelque autre te phlt. Où diantre pourrais-tu trouver qui me valût?
HÀRINETTE.
En effet, tu dis bien : voilà comme il faut être : Jamais de ces soupçons qu'un jaloux fait paraître ! Tout le fruit qu'on en cueille est de se mettre mal , Et d'avancer par là les desseins d'un rival. Au mérite souvent de qui l'éclat vous blesse , Vos chagrins font ouvrir les yeux d'une maîtresse ; Et j'en sais tel qui doit son destin le plus doux Aux soins trop inquiets de son rival jaloux. Enfin, quoi qu'il en soit, témoigner de l'ombrage, C'est jouer en amour un mauvais personnage , Et se rendre, après tout, miséralUe à crédit. Cela, seigneur Eraste, en passant vous soit dit.
(I) Le mot betdin signifiait autrefois non-seulement folâtre, qui aime rire, mais encore niais, qui s'amuse à des niaiseries : cette dernière acception est celle da vers de Molière.
8
8ê LE DEPIT AMOUREUX ,
ÉRASTB.
Eh bien ! n'en parlons plus. Que Yenais-to m'apprend ro ?
MARINEITB.
Vous mériteriez bien que Ton tous nt attendre ; Qu'a/in de tous punir, je tous tinsse cacbé Le grand secret pourquoi je tous ai tant clierclié. Tenez , Toyez ce mot , et sortez hors de doute : Lisez-le donc tout haut , personne ici n*écoute.
ÉRÀSTE liL
« Vous m'aTez dit que Totre amotir
« Était capable de tout faire ; «> Il se couronnera luinnême dans ce jour ,
« S'il peut aToir TaTeu d*ttn père. « Faites parier les droits qu'on a dessus mon cceur , j
« Je TOUS en donne la licence ; |
« Et , si c'est en Totre faTeur , « Je TOUS réponds de mon obéissance. »
Ah ! quel bonheur I O toi , qui me Tas apporté. Je te dois regarder comme une déité !
GROS'RENÉ.
Je TOUS le disais bien : contre Totre croyance , Je ne me trompe guère aux choses que je pense.
ÉRASTE relit.
«« Faites parler les droits qu'on a dessus mon ccRiir , R Je TOUS en donne la licence ; « Et , si c'est eu Totre faTeur , « Je TOUS réponds de mon obéissance- »
MARINETTE.
Si je lui rapportais tos faiblesses d*esprit , Elle désaTouerait bientôt un tel écrit.
àRASTE.
Ah 1 cache-lui , de grâce , une peur passagère , 1
Où mon ftme a cru tou* quelque peu de lumière ;
Ou , si tu la lui dis, ajoute que ma mort
Est prête d'expier l'erreur de ce transport ;
Que je Tais à ses pieds , si j'ai pu lui déplaire ,
Sacrifier ma Tie à sa juste colère.
MARUIETTS.
Ne parlons point de mort, ce n'en est pas le temps.
ÉRASTE. V
Au reste , je te dois beaucoup , et je prétends ,
Reconnaître dans peu , de la bonne manière , Les soins d'une si noble et si belle courrière.
ACTE I, SGftNI n. 87
■ARUfBTTB.
A propos f sayeiK-TOiit oà je tous ai cherché » Tantôt encore?
ÉRASTE.
Eh bien?
HARIRETTB.
Tout proche da marché , Où vous savez.
ÉRASTE.
où donc?
MARINeiTE.
Là. . . dans cette boutique où , dès le mois passé , irotre cœur magnifique Me promit, de sa grâce , une bague.
ÉRASTE.
Ah ! j*cntends.
GROS-RERÉ.
La matoise !
ÉRASTE.
Il est vrai , j'ai tardé trop longtemps A m'acquitter vers toi d'une telle promesse : Mais. . .
MARIICETTE.
Ce que j'en ai dit n*est pas que je vous presse.
GROS-REMÉ.
Ho! que non!
ÉRASTE lui donne sa bague.
CeHe-ci peut-être aura de quoi Te plaire ; accepte4a pour celle que je doi.
MARINETTE.
Monsieur y vous vous moquez ; j'aurais honte à la prendre.
GROS-RENÉ.
Pauvre honteuse, prends sans davantage attendre : Refuser ce qu'on donne est bon à faire aux fous.
MARIlfETTE.
Ce sera pour garder quelque chose de vous.
ÉRASTE.
Quand puis-je rendre grâce à cet ange adorable F
MARINETTE.
Travaillez à vous rendre un père favorable.
ÉRASTE.
Mais s'il me rebutait, dois-je... ?
■ ARINETTE.
Alors comme alors ;
88 LE DËPIT AMOUBEDX,
Pour TOUS on emploiera tontes sortes d'efforts. D'une façon ou d'autre il faut qu'elle soit Tôtre : Faites Yotre pouiroir , et nous ferons le nôtre.
ÉRâSTE.
Adieu ; nous en saurons le succès dans ce jour.
( Éraste relit la lettre tout bat. ) MARUIEITB à Gros-René. Et nous , que dirons-nous aussi de notre amour? Tu ne m'en parles point.
GROS-RENÉ.
Un hymen qu'on souhaite , Entre gens comme nous, est chose bientôt faite. Je te veux ; me veux-tu de même ?
HARINETTE.
Avec plaisir.
GROS-RENÉ.
Touche, il suffit.
HÀRINETrE.
Adieu , Gros-René , mon désir.
GROS-RENÉ.
Adieu, mon astre.
HARINETTE.
Adieu , beau tison de ma flamme.
GROS-RENÉ.
Adieu , chère comète , arc-en-del de mon âme.
(Marioettesort.) Le bon Dieu soit Joué , nos affaires vont bien ; Albert n'est pas un homme à vous refuser rien.
ÉRASTE.
Yalère vient à nous.
GROS-RENÉ.
Je plains le pauvre hère (1) , Sachant ce qui se passe.
SCÈNE III.
VALÈRE, ÉRASTE, GROS-RENË. ÉRASTE.
Eh bien ! seigneur Yalère?
VALÈRE.
Kh bien ! seigneur Éraste ?
(I) Ce mot vient de rallemaod herr, quUigaifie, seigneur. On dit, par moquerie , un pouore hère, pour dire , tin pauvre seigneur. ( Min. }
ACTE ï, SCÈNE 111. 99
I^RASTE.
En quel état ramoiur?
En quel état vos feui?
VALÈRB.
ÉRASTE.
Plus forts de jour en jour.
▼ALàRE.
Et mon amour plus fort.
ÉRA8TB.
PourLucile?
YALÈRB. .
Pour elle.
ÉRASTB.
Certes , je TaTouerai , tous êtes le modèle D*une rare constance.
VALÈRB.
Et votre fermeté Doit être un rare exemple à la postérité.
ÉRASTE.
Pour moi , je suis peu liait à cet amour austère , Qui dans les seuls regards trouve à se satisfaire ; Et je ne forme point d'assez beaux sentiments Pour souffrir constamment les mauvais traitements ; Enfin , quand j'aime bien , j'aime fort que Ton m*aime.
YALÈRE.
n est très-naturel , et j'en suis bien de même. Le plus parfait objet dont je serais charmé N'aurait pas mes tributs , n'en étant point aimé.
ÉRASTE.
Lnçile cependant...
VALÈRE.
Lucile , dans son âme , Rend tout ce que je veux qu'elle rende à ma flamme.
ÉRASTE.
Vous êtes donc facile à contenter?
VALÈRE.
Pas tant Que vous pourriez penser.
ÉRASTE.
Je puis croire pourtant. Sans trop de vanité , que je suis en sa grâce.
GALÈRE.
Moi y je sais que j'y tiens une assez bouue i)lace.
90 LE DËPIT AMOUREUX,
ÉRASTB.
Ne vous abusez poiat , croyez-moi.
VALÈITB.
Croyez-iuoi , Ne laissez point duper tos yeux à trop de foi.
ÉRASTE.
si j'osais vous montrer une preuve assurée
Que son oœur... Non , votre âme en serait altérée.
VALÈRB.
Si je vous osais , moi , découvrir en secret... Mais je vous fâcherais , et veux être discret.
ÉRASTE.
Vraiment, vous me poussez, et, contre mon envie.
Votre pi'ésomption veut que je l'humilie.
Lisez.
VALÈRE , «près avoir lu. Ces mots sont doux.
ÉRASTE.
Vous connaissez la maiu ?
VALÈRB.
Oui , de Lucile.
ÉRASTE.
Eh bien! cet espoir si certain... VàLÈRB , riaot et s*eo allant. Adieu , seigneur Ëraste.
GROS-RENÉ.
Il est fou , le bon sire, où vient-il donc pour lui de voir le mot pour rire ?
ÉRASTE.
Certes , il me surprend ; et j'ignore, entre nous, Quel diable de mystère est caché là-dessous.
GROS-RENÉ.
Son valet vient , je pense.
ÉRASTE.
Oui , je le vois paraître ; Feignons, pour le jeter sur l'amour de son maître.
SCÈNE IV.
ÉRASTE, MASCAWLLE, GROS-RENÊ. MASCARILLE à part.
Non , je ne trouve point d'état plus malheureux Que d'avoir un patron jeune et fort amoureux.
ACTE I , SCÈNE IV. 0t
CROS-RENé.
Bonjour.
nASCARILLE.
Bonjour.
GROS-RENÉ.
OÙ tend Mascarille à cette henre (t) P Que fait-il ? revient-il ? va-t-U? ou s'il demeure?
MASCARILLE.
Non , je ne reviens pas , car je n'ai pas été ; Je ne vais pas aussi , car je suis arrêté ; Et ne demienre point , car, tout de ce pas même, Je prétends na'en aller.
ÉRASTE.
La rigueur est extrême ; Doucement, Mascarille.
HASCARn^LB.
Ah! monsieur, serviteur.
ÉRASTE.
Vous nous fuyez bien vite ! eh quoi î vous fais-je peur ?
■ASGARILLE.
Je ne crois pas cela de votre courtoisie.
ÉRASTE.
Touche ; nous n'avons plus sujet de jalousie , Kous devenons amis , et mes feux que j'éteins Uissent la place libre à vos heureux desseins.
MASCARILLE.
plût à Dieu!
ÉRASTE.
Grofr^René sait qu'ailleurs je me jette.
GBOS-RENÉ.
Sans doute ; et je te cède aussi la Marinette.
MASCARILLE.
Passons sur ce point-là; notre rivalité N'est pas pour en venir à grande extrémité : Mais est-ce un coup bien sûr que votre seigneurie Soit désenamonrée? ou si c'est raillerie?
ÉRASTE.
J'ai su qu'en ses amours ton maître était trop bien. Et je serais un fou de prétendre plus rien Aux étroites faveurs qu'il a de cette belle.
MASCARILLE.
, Certes , vous me plaisez avec cette nouvelle.
(t) Où tend Mascarille? ponr, où va Masearltte? est un latinisiiir : qiMoUndUt (A4
93 LE DË^jlT AMOUREUX,
Outre qu'en nos projets je tous craignais un peu,
Vous tirez sagement Totre épingle du jeu.
Oui , vous avez bien fait de quitter une place
Où l'on TOUS caressait pour la seule grimace ;
Et mine fois , sachant tout ce qui se passait ,
J'ai plaint le faux espoir dont on vous repaissait.
On offense un brave homme alors que l'on Tabuse.
Mais d'où diantre , après tout , avez-vous su la ruse ?
Car cet engagement mutuel de leur foi
N'eut pour témoins, la nuit , que deux autres et moi ;
Et l'on croit jusqu'ici la chaîne fort secrète
Qui rend de nos amants la flamme satisfaite.
ÉRASTË.
Hé! que dis-tu?
HASCARILLE.
Je dis que je suis interdit , Et ne sais pas, monsieur , qui peut vous avoir dit Que, sous ce faux semblant, qui trompe tout le monde En vous trompant aussi , leur ardeur sans seconde D'un secret mariage a serré le lien.
ÉAASTE.
Vous en avez menti.
HASCARILLE.
Monsieur , je le veux bien.
ÉRASTE.
Vous êtes un coquin .
MASGARILLE.
D'accord.
ÉRASTE.
Et cette audace Mériterait cent coups de Mton sur la place.
HASCARILLE.
Vous avez tout pouvoir.
ÉRASTE.
Ah ! Gros-René !
GKOS-RENÉ.
Monsieur.
ÉRASTE.
Je démens un discours dont je n'ai que trop peur.
(à Mascarille.)
Tu penses fuir ?
HASCARILLE
Nenni.
ÉRASTE.
Quoi! Lucile est la femme...
ACTE I, SCÈNC lY. 93
MÀSGAKIUB.
Non , monsieur, je raillais.
ÉRASTB.
Ah ! TOUS railliez , inlUnie I
MASCARILLE.
Non , je ne raillais point.
ÉRASTE.
Il est donc vrai?
MASGARILLB.
Non pas. Je ne dis pas cela.
ÉRASTE.
Que dt»-tu donc?
MASCARILLE.
Bêlas! Je ne dis rien , de penr de mal parler.
ÉRASTE.
Assure On si c'est chose Traie, ou si c'est imposture.
UASCARILLB.
C'est ce qu'il tous plaira : je ne suis pas ici Pour TOUS rien contester.
ÉRASTE tirant son épce.
Veux-tu dire ? Voici , Sans marchander, de quoi te délier la langue.
MASCARILLE.
Elle ira faire encor quelque sotte harangue. Eh l de grâce , plutôt , si tous le tiouTez bon , Donnez-moi Titement quelques coups de bâton , Et me laissez tirer mes chausses sans murmure.
ÉRASTE.
Tu mourras, ou je Teux que la Térité pure S'exprime par ta bouche.
MASCARILLE.
Hélas! je la dirai: Mais peut-être, monsieur, que je tous fâcherai.
ÉRASTE.
Parle ; mais prends bien garde à ce que tu Tas faire. A ma juste fureur rien ne te peut soustraire , Si tu mens d'un seul mot en ce que tu diras.
HASCARaLE.
J'y consens , rompez-moi les jambes et les bras , Faites-moi pis encor , tuez-moi si j'impose , En tout ce que j'ai dit ici, la moindre chose.
94 LE DEMT AMOUREUX
ÙUSTB.
Ce mariage est ir rai?
MABCARILLE.
Ma langue, en cet endroit , k fait un pas de clerc , dont elle s'aperçoit ; Mais enfin cette affaire est comme tous la dites , Et c'est après cinq jours de nocturnes visites , Tandis que yous serriez à mieux couvrir leur jeu , Que depuis ayanl^iier ils sont joints de ce nœud ; Et LucÛe d^Hiis ftit encor moins paraître La yiolente amour qu'elle porte à mon matlre, Et veut absolument que tout ce qu'il Terra , Et qu'en votre faveur son cœur témoignera , H l'impute à l'efTet d'une haute prudence Qui vent de leurs secrets ôter la connaissance. Si , malgré mes serments , vous doutez de ma foi , Gros-René peut venir une nuit avec moi , Et je lui ferai voir, étant en sentinelle , Que nous avons dans l'ombre un libre accès chez éHe.
ÉRASTB.
Ote-toi de mes yeux , maraud !
MASGARILLE.
Et de grand cœur. C'est ce que je demande.
SCÈNE V.
ËRASTE , GROS-RENË.
ÉRASTE.
Eh bien!
GROS-RENÉ.
Eh bien! monsieur? Nous en tenons tous deux , si l'autre est véritable.
ÉRASTE.
Las! il ne Test que trop, le bourreau détestable! Je vois trop d'apparence à tout ce qu'il a dit ; Et ce qu'a fait Yalère , en voyant cet écrit. Marque bien leur concert , et que c'est une baie (1) Qui sert, sans doute, aux feux dont Kingrate le pale.
(I) Baie, de l'itaUen dar la bâta, tromper» le moqoer.
ACTE II , SCÈNE I. frS
SCÈNE VI.
ÉRASTE, MAHmETTÉ, GROS-RKHÉ.
HARnŒTTE.
Je Tiens tous aTertir que tantôt , sur le soir, Ma maîtresse an jardin tous permet de la Toir.
ÉRASTE.
Oses-tu me parier? flme double et traîtresse! Va, sors de ma présence; et dis à ta maîtresse Qu'aTecque ses écrits elle me laisse en paix , Kt que Toilà Tétat , infâme l que j'en fais.
(11 déchire la lettre et sort.) HARINETTE.
Gros-René , dis-moi donc quelle mouche le pique.
GROS^RENé. ^
M'oses-tu bien enoor parler ? femelle inique , Crocodile trompeur, de qui le cœur félon Est pire qu'un satrape, ou bien qu'un Lestrigon (1) ! Va , Ta rendre réponse à ta bonne maîtresse. Et dis-lui bien et beau que , malgré sa souplesse , Nous ne sommes plus sots, ni mon maître ni moi , Et désormais qu'elle aille au diable aTecque toi.
HARINETTE seule.
Ma pauTre Marinette , es-tu bien éTeillée? De quel démon est donc leur ftme traTaiUée ? Quoi 1 faire un tel accueil à nos sdns obligeants ! Oh ! que ceci chez nous Ta surprendre les gens I
ACTE IL
SCÈNE PREMIÈRE.
ÀSCAGNE , FROSINE. FROSINE.
Ascagne , je sots fille à secret , Dieu merci.
ASCAGNE.
Mais , pour un tel discours , sonunesrnous bien ici ?
(I) Lettrigons , pcnpie de la Campanie , dont les poètes ont fait des ao- 1 tiropophages. (6.)
9« LE DEPIT AMOUREUX,
Prenons garde qu'aucun ne nous Tienne surprendre , Ou que de quelque endroit on ne nous puisse entendre.
FBOSINE.
Nous serions au logis beaucoup moins sûrement :
Ici de tous côtés on découvre aisément ;
Et nous pouvons parler avec toute assurance.
ASCAGNB.
Hélas I que j'ai de peine à rompre mou silence !
FROSINB.
Ouais ! ceci doit donc être un important secret?
ASCAGNE.
Trop , puisque je le dis à vous-même à regret , Et que , si je pouvais le cacher davantage , Vous ne le sauriez point.
PROSINB.
Ah I c'est me faire outrage ! Feindre à s'ouvrir à moi, dont vous avez connu Dans tous vos intérêts l'esprit si retenu ! Moi , nourrie avec vous, et qui tiens sous silence Des choses qui vous sont de si grande importance ; Qui sais...
ASCAQNE.
Oui , vous savez la secrète raison Qui cache aux yeux de tous mon sexe et ma maison;- Vous s^vez que dans celle où passa mon bas ftçe Je suis pour y pouvoir retenir l'héritage Que relâchait ailleurs le jeune Ascagne mort , Dont mon déguisement fait revivre le sort ; Et c'est aussi pourquoi ma bouche se dispense A V0.US ouvrir mon cœur avec plus d'assurance. Mais avant que passer, Frosine , à ce discours , Ëclairdssez un doute où je. tombe toujours. Se pourrait-il qu'Albert ne sût rien du mystère Qui masque ainsi mon sexe , et l'a rendu mon père?
FROSINE.
En bonne foi , ce point sur quoi vous me pressez Est une affaire aussi qui m'embarrasse assez : Le fond de cette intrigue est pour moi lettre close (1) ; Et ma mère ne put m'éclaircir mieux la chose. Quand il mourut, ce fils , l'objet de 4ant d'amour. Au destin de qui , même avant qu'il vint au jour, Le testament d'un oncle abondant en richesses
«
(I) Uttres close», choses qu'on ne sait pas : les sciences sont hllres closes au\ ignorants.
ACTE II, SCÈNE 1. 97
D*iin soin particulier avait fait des lai^esses; Et que sa mère fit un secret de sa mort , De son époux alasent redoutant le transport , S*il voyait chez un autre aller tout Tliéritage Dont sa maison dirait uu si grand avantage ; Quand , dis-je , pour cacher un tel événement , La supposition fut de son sentiment , Et qu*on vous prit chez nous, où vous étiez nourrie (Votre mère d'accord de cette tromperie Qui remplaçait ce fils à sa garde commis), En faveur des présents le secret fut promis. Albei*! ne Ta point su de nous ; et pour sa flemme , L'ayant plus de douze ans conservé dans son âme ,
Comme le mal fiit prompt dont on la vit mourir,
Son trépas imprévu ne put rien découvrir ;
Mais cependant je vois qu'il garde intelligence
Avec celle de qoi vous tenez la naissance.
l'ai su qu'en secret même il lui faisait du bien ,
Et peut-être cela ne se fait pas pour rien.
D'antre part, il vous veut porter au mariage ;
Et , c^mme il le prétend , c'est un mauvais langag .
Je ne sais s'il saurait la supposition
Sans le déguisement. Mais la digression
Tout insensiblement pourrait trop loin s'étendre :
Revenons au secret que je brûle d'apprendre.
ASGAGNE.
Sachez donc que l'amour ne sait point s'abuser, Que mon sexe à ses yeux n'a pu se déguiser, Et que ses traits subtils , sous l'habit que je porte , Ont su trouver le cœur d'une fille peu forte : J'aime enfin.
FROSINE.
Vous aimez l
ASGAGNE.
Frosine, doucement. N'entrez pas tout à fait dedans l'élonnement ; 11 n'est pas temps encore ; et ce cœur qui soupire A bien , pour vous surprendre , autre chose à vous dire.
FROSINE.
Et quoi ?
ASGAGNE.
l'aime Valère,
FROSINE.
Ah 1 vous avez raison.
9
98 LE DÉPIT AMOmBXm^
' L'objet de votre amour , lui , dont à la maison Votre imposture enlàre un puissant héritage. Et qui , de votre sexe ayant le moindre ombrage ^ Verrait incontinent ce bien lui retourner I C'est encore un plus grand sujet de s'étonner.
ascagub. J'ai de quoi toutefois surprendre plus votre âme : Je suis sa femme.
FROSINE.
Odieuxl sa femme 1
ASGiGNB.
Oui, sa femme.
FROSmE.
Ah ! certes , celui-là l'emporte » et vient à bout De toute ma raison.
ASGAGNB.
Ce n'est pas encor tout.
FEOSniE.
Encore ?
ASGAGHB.
Je la suis , dis-je , sans qu'il le pense , Ni qu'il ait de mon sort la moindre connaissance.
moeiNE.^ Ho! poaa8es;jeieqmtte, et ne raisonne plus, Tant mes sens coup sur coup se trouvent confondus. A ces énigmes-là je ne puis rien comprendre.
ASCAGNB.
Je vais vous l'expliquer, si vous voulez m'entendre- valère , dans les fers de ma sœur arrêté, Me semblait un amant digne d'être écouté; Et je ne pouvais voir qu'on rebutât sa flamme , Sans qu'un peu d'intérêt touchât pour lui mon âme. Je voulais que Lncile ahnàt son entretien ; Je blâmais ses rigueurs ; et les blâmai si bien , Que moi-même j'entrai , sans pouvoir m'en défendre, Dans tous les sentiments qu'elle ne pouvait prendre C'était , en lui parlant , moi qu'il persuadait; Je me laissais gagner aux soupirs qu'il perdait; Et ses vœux , rejetés de l'objet qui l'enflamme , Étaient , comme vainqueurs , reçus dedans mon Ame. Ainsi mon cœur, Frosine, un peu trop faible, hélas ! Se rendit à des soins qu'on ne lui rendait pas , Par un coup réfléchi reçut une blessure , Et paya pour un autre avec beaucoup d'usure.
ACTE n , SCÈ3iE II. 99
EnfiD y ma chère , enfin , l'amonr que j*eus pour lui Se Yoùlu^ expliquer, mais sous le nom d*autrui. Dans ma bouche , une nuit , cet amant trop aimable Crut rencontrer Lucile à ses Tœux favorable , Et je sus ménager si bien cet entretien , Que du déguisement il ne reconnut rien. Sous ce Yoile trompeur, qui flattait sa pensée , Je lui dis que pour lui mon âme était blessée , Mais que, voyant mon père en d'autres sentiments, Je devais une feinte à ses commuidements ; Qu'ainsi de notre amour nous ferions un mystère Dont la nuit seulement serait dépositaire ;
Et qu'entre nous, de jour, de peur de rien gftter,
Tout entretien secret se devait éviter;
Qu'il me verrait alors la même indiffërence
Qu'avant que nous eussions aucune intelligence;
Et que de son cdté, de même que du mien ,
Geste , parole , écrit , ne m'en dit jamais rien •
Enfin , sans m'arrèter sur toute l'industrie
Dont j'ai conduit le fil de cette tromperie ,
J'ai poussé jusqu'au bout un projet si hardi ,
Et me suis assuré l'époux que je vous di.
PROSUŒ.
Peste l les grands talents que votre esprit possède I Dirait-on qu'eOe y touche , avec sa mine froide? Cependant vous avez été bien vite ici ; Car, je veux que la chose ait d'abord réussi , Ne jugez-vous pas bien, à regarder l'issue, Qu'elle ne peut longtemps éviter d'être sue.'
ASGAGNE.
Quand l'amour est bien fort, rien ne peut l'arrêter; Ses projets seulement vont à se contenter; Et , pourvu qu'il arrive au but qu'il se propose , Il croit que tout le reste après est peu de chose. Mais enfin aujourd'hui je me découvre à vous , Afin que vos conseils... Mais voici cet époux ^
SCÈNE II.
VAJLÈItE, ASCAGNE, FROSINE.
VALÈRE.
Si VOUS êtes tous deux en quelque conférence Où je vous fasse tort de mêler ma présence ^ le me retirerai.
1678^?'^*
100 LE DÉPIT AMOUREUX,
A8CAGNB
Non , non , tous pouvez bien , Puisque tous le faisiez» rompre notre entretien.
▼4LÈRE.
Moir
ASCàGHB.
Vous-même.
VALÈBE.
Et comment ?
ASCAGMB.
Je disais que Valère Aurait , si j'étais fille , un peu trop su me plaire ; Et que, si je faisais tous les vœux de son cœur, Je ne tarderais guère à faire son bonheur.
▼ALÈRE*
Ces protestations ne coûtent pas grand'chose , Alors qu'à leur effet un pareil si s'oppose ; Mais TOUS seriez bien pris, si quelque événement Allait mettre à l'épreuve un si doux compliment.
ASCAGNE.
Point du tout; je vous dis que, régnant dans votre ànie^ Je voudrais de bon cœur couronner votre flamme.
VALÈRE.
Et si c'était quelqu'une où par votre secours Vous pussiez être utile au bonbeur de mes jours ?
ASCAGNE.
Je pourrais assez mal répondre à votre attente.
VALÈRE.
Cette confession n'est pas fort obligeante.
ASCAGNE.
Eh quoi! vous voudriez, Valère, injustement, Qu'étant fille , et mon cœur vous aimant tendrement , Je m'allasse engager avec une promesse De servir vos ardeurs pour quelque autre maîtresse ? Un si pénible effort , pour moi , m'est interdit.
VALÈRE.
Mais cela n'étant pas.
ASCAGME.
Ce que je vous ai dit , Je l'ai dit comme fille , et vous le devez prendre Tout de même.
VALÈRE.
Ainsi donc il ne faut rien prétendre, Ascagne, à des bontés que vous auriez pour nous ,
ACTE II, SCE\£ II. fOl
A moins que le ciel fasse im grand miracle en vous; ' Bref, si tous n'ôtes fille, adieu votre tendresse, Il ne vous reste rien qui pour nous s^inléresse.
AflCAGNE.
l*ai Tesprit délicat plus qu'on ne peut penser , Et le moindre scrupule a de quoi m'offenser Quand il s'agit d'aimer. Enfin je suis sincère ; Je ne m'engage point à vous servir, Yalère, Si vous ne m'assurez , au moins absolument , Que TOUS gardez pour moi le même sentiment ; Que pareille chaleur d'amitié vous transporte , Et que, si j'étais fille, une flamme plus forte N'outragerait point celle où je vivrais pour vous.
TALàRB.
Je n'avais jamais tu ce scrupule jaloux ;
Mais, tout nouTeau qu'il est, ce mouvement m-ol>lige ,
Et je vous fais ici tout l'aveu qu'il exige.
ASCAGNii.
Mais sans fard?
TALÈRE.
Oui , sans fard.
ASCAGME.
s'il est vrai , désormais Vos intérêts seront les miens , je tous promets.
TALÈRB.
J'ai bientôt à tous dire un important mystère, Où l'effet de ces mots me sera nécessaire.
ASCAGME.
Et j'ai quelque secret de même à vous ouvrir, Où votre cœur pour moi se pourra découvrir.
TALÈRB.
Eh ! de quelle façon cela pourrait-il être?
ASCAGME.
C'est que j'ai de l'amour qui n'oserait paraître , Et TOUS pourriez avoir sur l'ofaiet de mes vœux Un empire à pouvoir rendre mon sort heureux.
TALÈ&E.
Expliquez-Tous , Ascagne ; et croyez , par avance , Que votre heur est certain , s'il est en ma puissance
ASCAGNE.
Vous promettez ici plus que vous ne croyez.
VALÈRE.
Won, non ; dites l'objet pour qai vous m'employe*.
9.
loi LE DÉPIT AMOUREUX ,
A8CAGME.
Il n'est pas eucor temps ; mais c'est une persoiiM Qui vous touche de près.
Votre discours m*étonne. Plût à Dieu que ma sœur... !
ASCÂGRE.
Ce n'est pas la saison De m'expliquer, vous dts^je.
Et pourquoi?
A86A0NE.
Pour raisoik Vous saurez mon secret quand je saurai le vôtre.
TALÈRE.
J'ai besoin pow cela de Tayea de quelque autre.
ASCAGME.
Ayez-le donc ; et lors , nous expliquant nos vceux » Nous verrons qui tiendra mieux parole des deux.
VALÈBS.
Adieu , j'en suis content.
ASCAGMB.
£t moi content , Valère.
(Valère sort.) FR06INE.
U croit trouver en vous l'assistance d'un frère.
SCÈNE III.
LUCILE, ASCAGNE, FROSINE, MARINETTE
LUCILB i Marînette, les trois premiers vers. C'en est fait ; c'est ainsi que je me puis venger ; Et si cette action a de quoi Tafiliger , C'est toute la douceur que mon cœur s'y propose. Mon frère , vous voyez une métamorphose. Je veux chérir Valère après tant de fierté , Et mes vœux maintenant tournent de son cdté.
ASCAGIIB.
Que dites- vous , ma sœur? Comment! courir au change! Cette inégalité me semble trop étrange.
LUCILE.
La vôtre me surprend avec plus de sujet.
ACTE n, âCËNK m. 103
De Tos soins autrefois Yalère était l'objet :
Je TOUS ai ya pour loi m'accoser de caprice ,
l)*aYeiig1e cruauté , d*orgueil et d'iijustice ;
Et, quand je veux Taimer, mon dessein vous déplait ,
£t je TOUS Tois parier contre son intérêt !
ASCAGNE.
Je le quitte , ma soeur, pour embrasser le vôtre ; Je sais qu'il est rangé di»sous les lois d'une autre ; Et ce serait un trait bonteax k tos appas, Si TOUS le rappeliez et qu'il ne reTlnt pas.
Si ce n'est que cela , j'aurai soin de ma gloire ,
Et je sais , pour son cœur, tout ce que j'en dois cioiFe ;
Il s'explique à mes yeux inteiligiblemeut ;
Ainsi découTre3t4ui , sans peur, mon sentiment :
On , si TOUS reibsez de le foire , ma bouche
Lui va foire savoir que son ardeur me toucbe.
Quoi ! mon frère, à ces mots vous restez interdit ?
ASCAGHE.
Ahl ma sœur, si sur vous je puis avoir crédit , Si TOUS 6tes sensible aux prières d'un frère , Quittez un tel dessein , et n'ôtez point Yalère Aux Tœux d'un jeune objet dont l'intérêt m'est cher, Et qui , sur ma parole , a droit de vous toucher. La pauvre infortunée aime avec violence ; A moi seul de ses feux elle fait confidence , Et je vois dans son cœur «le tendres mouTements A dompter la fierté des plus durs sentiments. Oui, TOUS auriez pitié de l'état de son âme. Connaissant de quel coup vous menacez sa flamme ; Et je ressens si bien la douleur qu'elle aura , Que je suis assuré , ma sœur, qu'elle en mourra , Si vous lui dérobez l'amant qui peut lui plaire. £raste est un parti qui doit vous satisfaire, Et des feux mutuels...
LUCILE.
Mon frère, c'est assez. Je De sais point pour qui vous vous intéressez; Mais , de grâce , cessous ce discours, je vous prie., Et me laissez un peu dans quelque rêverie.
ASCAGNE.
Allez, cruelle sœur, vous me désespérez, Si voufi effectuez tos desseins déclarés.
104 i-l^ DÈPiT AMOUREUX,
SCÈNE IV.
LUCILE, MARINETTE.
HÀRlNETrE.
Lh résolution, madame, est assez prompte.
LDCILE.
Un cœur ne pèse rien alors que l*on t'alTronte ; Il court à sa vengeance , et saisit promptement Tout ce qu'il croit servir à son ressentiment. Le traître ! faire voir cette insolence extrême !
HARfNBTTB.
Vous m'en voyez encor toute hors de moi-même ; Et quoique là-dessus je rumine sans fin , L'aventure me passe, et j'y perds mon latin. Car enfin aux transports d'une bonne nouvelle Jamais cœur ne s'ouvrit d'une façon plus belle ; De l'écrit obligeant le sien tout transporté Ne me donnait pas moins que de la déité ; Et cependant jamais , à cet autre message , Fille ne fut traitée avecque tant d'outrage. Je ne sais , pour causer de si grands changements , Ce qui s'est pu